Les aléas de l’import font qu’il aura fallu patienter plusieurs mois avant de découvrir le discret troisième disque du non moins discret quatuor chicagoan Town & Country, formé en janvier 1997. Après un premier album (Self-titled – Boxmedia, 1998), un EP (Decoration day – Thrill Jockey, 1999), ainsi que quelques concerts en compagnie de The Sea & Cake ou Godspeed You Black Emperor !, voici donc It has to do with it. Soit quatre longues plages instrumentales étirées sur quarante bonnes minutes. Quatre musiciens, rompus aux techniques du jazz improvisé et repérés dans de nombreux projets musicaux (Gastr del Sol, Sam Prekop, Ken Vandermark, Loren Mazzacane Connors, Tortoise, Chicago Underground Orchestra, Pillow, etc.), se partagent ici onze instruments. De fait, Town & Country exploite une attitude très tendance : anonymat, foultitude de contributions parallèles, confluence du jazz, de l’électronique et du rock, instrumentaux, subversion des schémas préétablis, adoption de structures lâches et malléables, etc.
Entre musique de chambre hypnotique et élégante dérive acoustique, les compositions du groupe font plus que suggérer leur parenté avec les modulations et boucles de Morton Feldman et le fingerpicking de John Fahey (Fine Italian hand rappelle notamment certaines ambiances de The Epiphany of Glenn Jones avec Cul de Sac). On remarquera donc tout naturellement de frappantes similitudes avec Gastr del Sol : une luxuriante instrumentation (guitare acoustique, contrebasse, piano, harmonium, accordéon, trompette, et une orgie de vibraphones et cloches) mise au service de l’aménagement d’un espace sonore aéré. La comparaison s’arrête pourtant là, car Town & Country joue sur un tout autre tableau. Conséquence des choix artistiques mais aussi des contraintes techniques imprévues (un accident a fait perdre à Liz Paine une bonne partie de la mobilité de deux de ses doigts), la musique du groupe est résolument minimaliste, et fuit donc toute virtuosité technique.
Une écoute superficielle de It has to do with it laisserait penser que l’album, outre qu’il révèle une réelle liberté de structures, notamment du fait de l’absence de section rythmique, inspire une étonnante simplicité, s’apparentant ainsi à un (sage) exercice d’improvisation. Pourtant, le groupe a travaillé un an sur les quatre compositions (et trois jours pour les enregistrer et les mixer). Autant dire que chaque note est pesée, sentie, sa place est toujours justifiée. Le plus surprenant est la manière dont les instruments parlent chacun leur tour, sans que jamais l’un ne prévale sur les autres. Un motif se construit lentement, tandis qu’un autre vient déjà le recouvrir et le chasser. Town & Country explore ainsi le jeu des infimes variations, des glissements de notes. L’album, à côté duquel il est malheureusement facile de passer si l’on se montre impatient, exige donc une écoute attentive et répétée.
En dépit de ces précautions, Hat versus hood retient rapidement l’attention : mélodiquement somptueux, il parvient le plus sûrement à créer une tension, qu’il libère vers la toute fin du morceau par des arpèges de guitares acoustiques que n’aurait pas reniés David Grubbs sur The Coxcomb. Hindenburg, et son accordéon lancinant, évoque les ambiances paisibles et lentes explorées par le Boxhead Ensemble, en même temps que les arrangements de vibraphone et de cloches rappellent certains morceaux de The Dylan Group. Quant à That old feeling, il joue habilement sur la superposition d’un drone pulsatif, d’une contrebasse jouant en cascade et de boucles de guitares acoustiques s’enlaçant progressivement. Le résultat est hypnotique.
Certes, la musique de Town & Country ne révolutionne rien. Leurs contemporains de Rachel’s avaient déjà rapproché musique classique, rock et électronique. Mais là où les instrumentaux boisés de Pullman agacent par leurs balbutiements et leur côté « je m’écoute jouer », jamais la musique de Town & Country ne commet d’impair. L’air de rien, elle finit même par devenir vraiment attachante.