Débarqué à New York fin 1997 avec sa guitare sur le dos et quelques idées dans la tête, le Danois Thor Madsen n’a pas tardé à s’y faire une réputation flatteuse et des relations enviables, à commencer par l’altiste et clarinettiste Douglas Yates, rencontré au cours d’une jam-session hivernale et immédiatement associé à ses nouveaux projets. C’est que l’homme ne manque pas d’idées : tout en tendant l’oreille vers les évolutions proliférantes de l’electronica, il se lance dans l’écriture de pièces acoustique sous l’influence revendiquée d’un Monk dont il étudie inlassablement les compositions. Ebloui comme de juste par l’alchimie du trio de Jean-Michel Pilc qu’il va voir en concert, il invite immédiatement François Moutin (contrebasse) et Ari Hoenig (batterie) à rejoindre son quartet. Parcourue de zébrures et de jeux d’équilibre rythmiques, jouant des ruptures de tempo et des subtilités de construction, sa musique, faussement légère (nulle part les quatre musiciens ne forcent le trait), se développe sur une curieuse obsession du rythme, issue à l’en croire de ses premières impressions new-yorkaises : « Il y avait des rythmes partout, dans la manière dont les gens marchaient et parlaient, dans les sons de la rue et dans la musique. » Son écriture subtile, prête à tous les écarts expérimentaux, exploite les contrastes en multipliant les oppositions directes : tensions et détentes soudainement surgies, consonances et dissonances, simplicité d’un pattern répété à l’envi et complexité d’une structure pyramidale aux délicatesses labyrinthiques.
Redevable au saxophoniste George Garzone pour les structures d’accord polytonales qui lui ouvrent ici et là de nouvelles perspectives (El Niño), il ne recule pas non plus devant l’intégration d’éléments dub et reggae récoltés au gré des découvertes et des rencontres. Ingénieux, audacieux, Thor Madsen lance un regard joyeusement trans-stylistique sur les musiques de son temps et en tire un son décidément original, volontiers ludique voire, eu égard à une série de marques ponctuelles parfois surprenantes, doucement ironique. La constante inspiration de Ari Hoenig et François Moutin, mêlée ici au jeu fiévreux d’un altiste dont les lignes mélodiques fulgurantes ne sont pas sans évoquer Dolphy (un Dolphy rencontrant Hendrix, ajoute très sérieusement le guitariste), ne se dément pas tout au long d’un disque moins électrique que le laisse penser son titre, encore que Madsen cède parfois volontiers à l’envie d’un riff funk inopiné. Rien que de très normal pour cet artiste multicarte, aussi à l’aise dans son home studio (on lui doit, sous le nom de code Mazza, un enthousiasmant album drum’n’bass) que dans le cadre d’un vocabulaire jazz parfaitement maîtrisé, enrichi de son plaisant éclectisme.
Thor Madsen (elg), Douglas Yates (as, bcl), François Moutin (b), Ari Hoenig (dm). Enregistré à New York en 1999.