On imagine très bien que les chastes oreilles de nos puritains encanaillés doivent siffler alors que sort leur album inaugural. Il faut bien avouer que These New Puritans cherche le bâton pour se faire battre et fournit tout autant de raisons de hérisser le poil de ses auditeurs que de leur faire chanter ses louanges. Entre mimétisme évident de The Fall et références ésotériques souvent pompeuses (les présocratiques et la numérologie passent à la même moulinette philosophale) production savamment efficace, guitares et rythmes « disco punk » éculés, Jack Barnett et ses amis témoignent d’une rare arrogance dans leur manière de prêcher un public à priori convaincu. Là où Mark E Smith, persuadé qu’il était d’avoir raison, scandait violemment contre les valeurs de l’art bourgeois que sont l’ordre et l’harmonie, préférant cultiver la hargne, la répétition et les instincts les plus primaires, nos jeunes Anglais sombrent souvent dans la caricature de « branleurs érudits » et font aujourd’hui figure de démolisseurs de portes ouvertes. Restent les chansons, quelques hits tels que C 16th ou Elvis aux mélodies imparables bâties sur des fondations d’énergie brute et charpentées de riffs de guitares incisifs. Maître d’oeuvre sonore, l’omnipotent Gareth Jones – le producteur au curriculum vitae panthéonique caché derrière The Ideal copy de Wire, Gag de Fad Gadget, Desire de Tuxedomoon (le meilleur), et Paradize d’Indochine (le pire) – contribue à la construction d’une pyramide aux formes dépouillées servant de temple à l’exhumation de Gang Of Four et autres Public Image Limited. C’est ici que l’album pèche, précisément où ses prédécesseurs excellaient. Les pièces semblent bien souvent inhabitées et peu mystérieuses ; comme si les rois qu’elles prétendent abriter avaient depuis longtemps quitté cet édifice En papier, pour ne plus laisser qu’une géométrie impeccable mais curieusement vide et peu accueillante. Quelque part entre Art Brut et The Liars, ces nouveaux puritains se sont donc trouvés une place un peu salope dans le revival post-punk contemporain.
De leur côté, Japanther sont de sales petits punks qui vous feraient passer Pete Doherty pour un vieillard grisonnant et obséquieux. Skuffed my huffy est le cinquième album en autant d’années qu’ils conduisent pied au plancher sous l’influence des Germs. C’est scandaleux de constater avec quelle facilité et quel talent nos deux trublions de Booklyn nous bottent le cul et nous font retrouver un âge où il était décent de pogoter enivrés dans les fêtes de lycée. Et avec ça… ils ne reculent devant rien, nous resservent la sauce Ramones, reprennent très librement et sans la moindre révérence le monument Boys don’t cry, braillent plus qu’ils ne chantent des mélodies imparables derrière des reverbs de guitares noisy saturées de crasse et une batterie qui matraque à la cadence du marteau piqueur de Lightning Bolt. On prétend ici et là (et cela ne fait aucun doute) que leur science la lo-fi est capable des plus grands miracles : faire sortir une pleine maison de retraite en tournoi de rami de sa léthargie, faire danser l’unijambiste, ressusciter Lazare… Les improbables samples de voix cinématiques rythmant le disque au début de chaque chanson (comme ce « on second thought, i’m gonna take this knife and slit your throat » qu’on dirait sorti d’un film noir ultra violent des années 50) mettent merveilleusement en scène les 15 courtes fictions qui le composent. Le punk est allergique à la poussière et Japanther a l’indiscutable mérite de le sortir du musée pour lui faire prendre l’air.