Tête d’affiche de la scène garage-punk californienne, Thee Oh Sees a su gracieusement se hisser au niveau d’un Ty Segall à coups de rouleaux compresseur rentre-dedans, tels que l’imparable Carrion Crawler/The Dream (2011). Bien installés au top du podium des « groupes-de-rock-excitants-qui-utilisent-de-vrais-instruments », les infatigables Thee Oh Sees ont le culot d’épingler un nouveau trophée à leur discographie déjà pléthorique, après avoir annoncé en décembre dernier qu’ils interrompaient leur carrière pour une « durée indéterminée ». Moins groovy mais plus venimeux, cet ultime (?) album fait la synthèse d’une carrière transgenre, sautillant d’une perle tubesque (le titre éponyme) à un psychédélisme démoniaque aux envolées schizo-lyriques.
Souvent déchiré par des explosions vocales et des performances live hystériques,le timbre de John Dwyer se fait ici plus posé, entêtant, pour ne pas dire sensuel. Un John Dwyer aguicheur qui possède le charme du sociopathe compulsif, dont la capacité de concentration semble quelque peu aléatoire. Lancinant sur Savage Victory, douce menace à prendre au sérieux, ou fantomatique sur Transparent World, Thee Oh Sees plante le décor : leur reverb sonne de plus en plus comme celle d’une maison hantée qui s’érigerait au milieu du désert des Mojaves, cernée par des Virevoltants. Aux antipodes d’un White Fence estival et primesautier, pas l’ombre d’une plage à l’horizon, mais des guitares trempées dans l’acide, des accroches pop et des feulements sexy.
Comme il se doit, Dwyer continue de japper allégrement sur Encrypted Bounce et Penetrating Eye et c’est d’ailleurs comme ça qu’il ouvre l’album parce que c’est son truc à lui, de japper. Et il faut bien admettre qu’il jappe mieux que personne. Il arrive néanmoins que les Oh Sees prennent une bouffée d’oxygène, s’extirpant du brouillard de poussière pour remuer Life On Mars (Bowie) et A Day In The Life (Beatles) dont la judicieuse convergence fait un King’s Nose à la limite de la ballade de santé pour un groupe habitué à la distorsion criarde.
Loin de la sauvagerie punk propice à mettre le feu aux douze coups de minuit, Drop se déguste de préférence au bout de la nuit. Non pas qu’il incite à l’ensommeillement, mais son mood psychédélique, susurrant, gracieux, s’avère être le compagnon idéal de la dernière demi-douzaine de bières. Floating Coffin avait ouvert la voie à cette hybridation des styles, réfractaire à un purisme totalitaire. Drop poursuit sur la même lancée, et à présent, voilà qu’on sifflote tranquillou sur The Lens, qui sonnerait presque comme un outtake de Yellow Submarine. La plupart des morceaux de Drop se situent quelque part dans ce triangle des Bermudes où garage bruyant, pop lancinante et psyché californien se rencontrent et où tous les clichés, les traditions et les chapelles partent d’un seul coup en fumée. Revenus de tous les trips, Thee Oh Sees ne semblent décidément pas prêts à lâcher le morceau.
En concert en France : à Saint Malo au festival La Route Du Rock, à Paris à Rock En Seine