Ca commence par trente secondes de silence. Puis, des sirènes de police dans une ville endormie apparaissent pour faire place nette devant le nouvel album de The The, Nakedself. Le chef-d’œuvre peut s’ouvrir avec un titre magistral, Boiling point. Un riff d’une simplicité toute richardsienne, mais auquel Keith the riff n’avait jamais pensé, sert de trame à un morceau en forme de question-réponse. La voix de Matt Johnson a pris de la profondeur. Une profondeur telle que l’on peine à le reconnaître au début. Et ce n’est que sur Shunken man que l’on retrouve l’univers chéri discrètement pendant tant d’années de The The. La patte particulière de Matt Johnson, cette accumulation de sons qui s’accordent parfaitement les uns les autres. De l’acoustique (guitare rythmique), de l’organique (sons synthétiques posés en trame de fond), de l’électrique (des guitares saturées placées en retrait), tout ce qu’on aime chez Matt Johnson est là, présent sur ce Nakedself qui sonne comme une sorte de bilan de plus de vingt ans de carrière.
Exilé à New York depuis quelques années maintenant, Matt Johnson s’est donné le temps pour offrir la quintessence de son art. On sent la pulsation de la Grosse Pomme dans The whisperers, notamment, avec cette intro introspective du plus bel effet, qui ouvre sur un couplet susurré… Tandis que la descente chromatique, en accord de guitare sur le refrain, colle de ces putains de frissons dans le dos, comme on n’en avait pas eu depuis le premier Perry Blake ou, l’an passé, avec l’album solo de Mark Hollis, ex-leader de Talk Talk.
Talk Talk / The The ! Leur patronyme doublé les rassemble dans une même famille, celle des songwriters rares qui savent prendre leur temps pour publier ce qu’ils ont de mieux, de plus précieux. Des chansons bouleversantes comme plus personne n’en fait aujourd’hui. Quand résonnent les premiers accords de chaque morceau de cet album, on a cette impression touchante de faire partie de la famille, d’être dans un univers connu, mesuré et parfaitement équilibré. Matt Johnson a réussi la gageure de donner cette impression de terrain familier, tout en innovant dans le traitement de ses arrangements. Nakedself, c’est un peu l’équivalent de Casino de Scorsese ou Deconstructing Harry de Allen : on connaît l’univers, mais on est bien au-delà. C’est une somme de l’œuvre, pas un raccourci, ni une compil’, mais un condensé, un concentré de l’art de Matt Johnson. On n’en sortira pas indemne, et d’ores et déjà on peut considérer Nakedself comme l’un des albums de l’année !