Il a beau régulièrement se vautrer dans les pires complaisances, le rock indé français chanté en anglais a encore quelques beaux rameaux pour lui, et des pépinières bien avisées où on les fait pousser avec amour. En juin, Orval Carlos Sibelius administrait une leçon de débrouillardise inventive ; à la rentrée, c’est Maison Neuve qui livrait un rock ultra-classe (et le mot est bien faible) avec Joan, talonné quelques semaines plus tard par cet Actual fiction de The Patriotic Sunday, titre paradoxal pour un projet qui ne l’est pas moins.
Les chansons de The Patriotic Sunday sont signées d’Eric Pasquereau, connu pour livrer régulièrement, avec Papier Tigre, de formidables déflagrations post-hardcore débarassées du folklore (intransigeance totale face au marché, t-shirt délavé porté à l’intérieur du jean trop court, Doc Martens) qui entoure généralement le genre et dont on ne sait plus trop bien s’il est authentique ou un simple signe (mais destiné à qui ?). Compacte, la musique de Papier Tigre l’est pour le moins : toute en angles imprévisibles, géométrique sans être math, déséquilibrée (deux guitares, quelques percussions, une batterie). The Patriotic Sunday offre en revanche à Pasquereau un peu d’espace où s’ébattre, ralentir le tempo, faire bourgeonner sa musique en arrangements contrastés au-delà des structures carrées de son autre groupe.
Atypique, The Patriotic Sunday l’est par sa manière de fonctionner. Eric Pasquereau écrit toutes les chansons et s’entoure de musiciens amis pour les arranger. Entre les premières démos et l’enregistrement, les titres se transforment peu à peu. Pour les précédents disques, Lay your soul bare et Characters, il avait fait appel à ses compères de Papier Tigre, Arthur de la Grandière et Pierre-Antoine Parois, ainsi qu’à Jonathan Seilman (The Melodramatic Sauna). Si Lay your soul bare plongeait la tête la première du côté des toutes premières obsessions de Pasquereau (les Beatles, les incunables du folk, Cohen et Dylan, Joao Gilberto), Characters se construisait autour d’un fantasme de surf music, multipliant les arrangements « beachboysiens » de cuivres et de cordes et picorant dans Sergeant Pepper’s autant que dans Forever changes, Odessey and oracle et Doolittle.
Cet esprit rôde toujours près d’Actual fiction : à l’évidence, c’est une idée ultra-légère et électriquement motorisée de la pop qui tire Pasquereau en avant. Cette fois, les arrangeurs en sont Julien Chevalier, Benoît Lauby et Paul Loiseau, membres de La terre tremble !!! et ce changement de line-up déplace de beaucoup les enjeux du songwriting : la tension entre le noyau des chansons et leurs arrangements s’y fait entendre de manière bien plus évidente (l’électricité y négocie en permanence avec l’acoustique) et le jeu des références y trouve un tout autre modus operandi. Toujours aussi nombreuses, toujours aussi élégantes, elles s’accumulent moins par strates qu’elles ne passent, anonymes et avec une vélocité souvent étourdissante, à l’intérieur des chansons. Comme sur leur album Travail, Chevalier, Lauby et Loiseau désarticulent les structures, ménagent des caches, ouvrent et ferment des tiroirs farceurs d’où sort l’histoire de la musique pop. Comme on entend Maison Neuve se brancher sur New Order et s’abreuver à Leonard Cohen, The Patriotic Sunday circa 2011 traverse garage et mod (Self-employment, Belgrade) pour mieux vaporiser un peu de bossa, plaque des séries d’accords dégottés chez Townshend (Coathhanger in the partyroom) avant de débouler sans crier gare chez Mo Tucker (A Set of seemingly disconnected words), place un glockenspiel ici, un chuintement d’orgue là (Quiet & slow) et surtout, la bande trame avec ses copines les choeurs masculins-féminins les plus ensorcelants qu’on ait entendu depuis bien longtemps en France. Rien que pour ça, Actual fiction surpasse à l’aise une bonne partie de la concurrence.