On m’avait dit : « Ce disque, c’est une tuerie ». Eh bien, je l’ai écouté, et je suis toujours vivant. Cependant, il y a bien quelque chose de mortel dans ROCKY, ne serait-ce que la chanson n°3, qui raconte à la première personne du singulier la mise à mort d’un certain cinéaste italien sur une plage d’Ostie. Mettre ainsi sa voix sur les derniers instants d’un disparu rend cette chanson incroyablement intemporelle et mystérieuse. Chaque écoute semble définitive, avec ce larsen qui s’envole sur le bruit de la grève… D’autres choses sont assassines : l’acuité et l’acidité des sonorités qui parcourent ce disque (cloches, triangles, percussions), les dissonances de piano ou de guitare éparses et intempestives, les arrangements oppressants de cordes de Yann Tiersen (sur Roma Amor et Holidays). Toute cette dangereuse tension rend l’écoute du disque abrupte et difficile, surtout lorsqu’on a particulièrement apprécié le boisé délicat et la ligne claire de The Jim side, le précédent opus des parisiens.
Cependant, à l’écoute, ROCKY se révèle singulièrement mélodieux et agréable. Ce qu’on entendait de dissonances finit par se marier harmonieusement aux autres instruments, et le foisonnement des arrangements se fait toujours en accord avec la lettre du texte, comme un dialogue enchevêtré de sens et de sensations. Entre l’ambiance acoustique à la Calexico (sans le côté nostalgique), les instrus rocks tordus et enlevés, un morceau disco surréaliste, l’expérimentation et l’habillage touffu des morceaux sont toujours en intelligence avec la base mélodique, l’une n’empiétant jamais sur l’autre, en un rêche équilibrisme. Tout cela est parcouru par le phrasé précis et étonnamment expressif de Christian Quermalet (une voix plus qu’un chant). En résulte un objet à la beauté compliquée, exigeant avec l’auditeur, mais généreux par ailleurs, une musique marquante, à forte identité.
Et c’est peut-être le plus difficile, en ces temps d’éternel recyclage, que d’avoir une véritable identité. Les Married Monk ont cette qualité, au milieu d’une scène française par ailleurs souvent compassée, d’être immédiatement identifiables, dés les premiers accords de leurs chansons. Cela tient peut-être au talent de producteur de Jim Waters, ce son tranchant si caractéristique. Mais aussi sans doute à un véritable esprit aventurier de la part de ce groupe rôdé aux expériences musicales multiples (les Married Monk ont accompagné Yann Tiersen sur scène, Christian Quermalet fait du travail de production à l’occasion). Le fait que deux des membres du groupe aient fait des études d’art peut également expliquer le côté « support-surface » de cette musique, le sens du contraste, visuel et coloré, des compositions. La pochette du disque, à la fois belle et laide, datée et tendance, entre Roxy Music et les Cars, illustre d’ailleurs assez bien la musique qu’elle recouvre. Les trouvailles sonores incongrues, les structures des morceaux alambiquées, alliées au talent mélodique de Christian Quermalet et Fabio Viscogliosi (qui a composé Holidays et les chansons en italien) font de cet album une invitation pour les musiciens d’ici à la curiosité et à l’expérimentation. Si cela pouvait créer des vocations, la pop française ne serait plus autant à la traîne sur la scène internationale, et on pourra espérer autre chose à l’étranger qu’une reconnaissance de notre talent de pousseurs de boutons french-touch.