Domino réédite à prix préférentiels les premiers albums de The Magnetic Fields, le fameux projet musical du prolifique songwriter new-yorkais Stephin Merritt. De The Wayward bus de 1991 au triple 69 love songs de 1999, c’est une discographie à l’influence déterminante et encore trop peu (re)connue qui réapparaît, pour notre grand bonheur.
Tous les albums de Merritt sont enregistrés et produits en home-studio, avec l’aide du violoncelliste Sam Davol, du guitariste (et occasionnellement joueur de banjo) John Woo, et de la percussionniste et pianiste Claudia Gonson. Le premier album, The Wayward bus, sorti en 1991, fait explicitement référence au Wall of sound de Phil Spector. Chaque vers de la première chanson se termine ainsi par les mots « when you were my baby », mêmes rythmiques, mêmes structures que les standards des Crystals ou des Ronettes, mêmes intros, avec un son général bizarrement intemporel. Le violoncelle sonne synthétique, la caisse claire est réverbérée, tous les éléments se mélangent un peu confusément. Les textes, qui parlent d’amours déçus, de séparations, de départs sont portés par le chant sous-mixé de Susan Anway, elle-même membre du groupe de Boston V, donnant parfois un petit côté Shangri-la’s monocorde aux compos. Après une plage de silence, la réédition de ce premier album est couplée avec Distant plastic trees de 1992, plus minimal, plus abstrait dans ses arrangements. Les mélodies et les structures relèvent cependant d’un classicisme très pur, empruntant autant à la musique baroque (Bach) qu’à l’éternelle fomat pop (couplet-refrain) ou au glam rock de Bowie ou David Sylvian. Ici, des expérimentations un peu bruitistes (white noise et glou-glou) brouillent un peu le propos, histoires d’amours et commentaires sociaux bigarrés.
Après le départ vers l’Arizona de la chanteuse Susan Anway, c’est Stephen Merritt lui-même qui chante de sa voix grave et atonale les chansons du mini album House of Tomorrow et de The Charm of the highway strip (1994), une « méditation electro-country à propos de la vie sur la route ». Avec sa pochette noire kraftwerkienne et ses titres explicites (Lonely highway, Born on a train), cet album se veut conceptuel (ce qui deviendra une habitude chez Merritt). Petits synthés et mélodies dépouillées, le style des Magnetic Fields s’affirme et s’affine, quelque part entre Chris Knox (le côté lo-fi, les structures répétitives) et Divine Comedy (sans les fioritures). Holiday (1994) sonne un peu plus encore euro-pop, mais une euro-pop cheap, traversée de parasitages sonores et indistincte, comme étouffée, claustrée, presque maladive, avec des chansons qui parlent d’évasion (Desert island raconte une vie rêvée sur une île déserte). C’est une sorte d’excentrique mélancolie qui se dégage de ces mélodies parfaites et de leur interprétation décharnée. Get lost (1995) commence par le classique instantané, chanté sur quelques accords de banjo, With whom to dance : « The rest of life pales in significance I’m looking for somebody with whom to dance », un modèle inégalé d’écriture merrittienne…
Stephin Merritt a inventé un genre en soi de pop-song, qu’il va décliner 69 fois sur le triple album 69 love songs, qui sort en 1999, et constitue le catalogue définitif de la parfaite chanson pop. Autrement mieux produit que tous ses disques précédents, 69 love songs inclut pléthore d’instruments (piano, accodéons, banjo, cordes), et d’invités, et témoigne d’une ambition inédite : faire un triple concept-album qui ne contiennent que des chansons d’amour. 69 chansons d’amour, comme son titre l’atteste. De Absolutely Cuckoo à Zebra, on n’a pas fini d’en faire le tour. Depuis, The Magnetic Fields ont signé sur le label Nonesuch (Warner) et ont sorti cette année un autre concept album, I. Tous les titres des morceaux commencent par cette lettre. Mais c’est une autre histoire…