Si vous êtes lecteur un brin assidu de Chronic’art, vous savez le culte que nous vouons à la fratrie Matthew et Eleanor Friedberger (lire notre entretien), aka The Fiery Furnaces, ardents littérateurs new-yorkais, flamboyants (ré)novateurs de l’idiome pop-rock anglo-saxon (du blues à l’opéra-rock, en passant par le math-rock, le rock prog’, le glam ou le garage), sur la récurrence altière d’un ou deux albums par an : I’m going away est le huitième en six ans, et le duo en a déjà enregistré une version « alternative » complète, avant de sortir pour la rentrée un Silent record, album à faire soi-même, livre de partitions , de lyrics et d’annotations, le comble de l’album conceptuel. Car chaque album ou presque du duo est un concept-album, un livre feuillu, ou le portrait fourni d’une femme (sur Rehearsing my choir, Bitter tea ou Widow city) ; il raconte en tout cas une histoire, avec ses lieux et ses personnages, et toute l’œuvre des Fiery Furnaces semble composer un incroyable cabinet de curiosités musical, ou une bibliothèque mentale inédite.
Ce I’m going away nouveau, poursuit l’entreprise d’investigation et de détournement des gimmicks pop, en une huitième merveille de disque-concept, un portrait de femme apocalyptique, et ne déroge pas à la règle, quoique relevant plus de la proposition de fiction que d’une narration close sur elle-même, et jouant de manière étonnamment conventionnelle avec la typologie pop-rock, les structures classiques couplets-refrains, les soli de guitares un peu ridiculement outranciers, les histoires d’amours déçues chantées comme des litanies. Certains y verront le bout d’un chemin, sinon une impasse (moins de chausse-trappes et de contre-pieds), d’autres une nouvelle étape (une confrontation avec le classicisme ?) sur le parcours de dynamitage irrévérencieux des références que le groupe s’astreint à effectuer depuis ses débuts, à longueur de puzzles et rébus. Toujours le meilleur groupe de rock du monde, toujours à l’aise.