Non, vous n’aurez pas un rapport détaillé sur la manière dont From here we go sublime a été composé façon détail des Stratégies obliques de Brian Eno, cours magistral sur le minimalisme de Steve Reich ou échantillonnage des symphonies de Wagner par Wolfgang Voight -ce dont tout le monde se contrefout royalement. Trop de fois les méthodes d’Alex Willner (aka The Field) ont été exposées dans d’autres articles pour pallier l’absence de discours autour de sa musique proprement dite, non sans quelque honte du critique qui parfois masque son incapacité à rendre compte de l’oeuvre derrière l’attribut du titre de l’album, ou plus inspiré encore, de navrantes images de dragibus, hamsters roulant sur le dos, couleurs saturées en dehors « pour faire joli » comme sur ces cartes postales impersonnelles pour touristes crétins trop fiers de se faire taxer 5 euros dans le but d’afficher leurs vacances à La Baule (AH ! CET ARTICLE SUR RESIDENT ADVISOR !) alors que l’album n’est jamais qu’une suite de monochromes hyper violents à l’oreille, aussi éreintants qu’un bug de Windows Media Player, où quelques secondes d’un même MPp3 tourneraient en boucle indéfiniment, d’une rythmique titubante, où les paroles des chansons samplées (Kate Bush, Lionel Richie, The Four Tops -je ne puis imaginer pire goût musical) seraient fractionnées jusqu’à n’obtenir qu’une seule syllabe barbare déclinée en refrains idiots (celui d’Over the ice fait quelque chose comme a/ha/oï), lesquels superposent plages ambiantes et couches de guitares über-saturées façon shoegazing anglais dans une étrange mécanique presque trance.
Voilà l’aspect purement formel de l’oeuvre, et je doute que ce détail des techniques terroristes employées par The Field vous fasse progresser dans votre achat, tant cette approche élude les questions relative à la nature fondamentale du disque. Comme si l’étude chirurgicale du cerveau de Mozart pouvait aider à comprendre où se situe le génie du Requiem (!) -bien que je n’y entende ici et pour ma part qu’un infâme ragoût de grands sentiments, et chœurs d’opérettes histoire de calmer le client Microsoft™ le temps qu’il obtienne le service d’assistance téléphonique lui permettant de réparer le même Windows Media Player qui depuis dix minutes déjà ne cesse de tourner en rond, au risque de lui écraser une couille quand celui-ci ne parvenant toujours pas à négocier The Deal observe une veine lui pousser sur le front et son cœur atrophié battre la chamade, réglant l’affaire en fracassant son laptop excédé par tant de manières à l’autre bout de la ligne (The Little heart beats so fast).
De ce qu’il a été dit sur The Field, il n’y a rien ou presque, à en retenir. Parce qu’au fond, aucun de ces critiques ne s’est arrêté sur l’essentiel de l’oeuvre -ce qu’elle exprime en dedans. Ce qui fait de From here we go sublime le plus bel enregistrement électronique depuis la pop concassée de Christian Fennesz, période Endless summer, où celui-ci parvenait à capturer, par-delà les textures abruptes, les nappes subaquatiques et les mélodies en infra, cette période nostalgique de l’existence où l’on revient sur un été définitivement perdu, les tubes des Beach Boys jouant depuis une stéréo sur la plage, le souffle exalté après avoir nagé à contre-courant, le teint hâlé par plusieurs heures passées à contempler une fille de rêve.
Sur Endless summer, cette carte postale générique au superficiel coucher de soleil n’aurait jamais autant touché si elle n’avait été déchirée et scotchée par trois fois, si l’encre amoureuse en son dos ne s’était déjà effacée parce que tombée à l’eau ou tout juste récupérée de la poubelle entre les cendres de cigarette et les mouchoirs pleins de sperme d’une chambre en bordel que votre mère avait cru bon de ranger. Pareillement, les miniatures électroniques d’Alex Willner ont cette valeur de vinyle trop rayé après avoir été écouté cent fois -Lionel Richie est un « souvenir d’enfance », affirme t-il chez Pitchfork, à propos du sample utilisé pour A Paw in my face. Les microsillons en sont complètement bousillés (sur Sun & ice, vers 4’45) cependant, nulle cruauté du sort n’affecte ces harmonies nimbées de reverb– pas même le gain le plus extrême ne peut en contenir le pouvoir d’évocation.
A cet égard, la pochette est presque nue, quelques titres marquées au stylo rouge, et il y a, en intérieur, toujours cette photographie stéréotypée, prise à contre-jour, laissant apercevoir un horizon de pins, perturbé par un soleil diffus avec, au loin, une étendue trouble qui le reflète. Elle est un peu floue. Comme ces souvenirs, comme sa musique, où l’on n’y entend qu’un cœur qui bat : le sien, ou peut-être, le nôtre.