On peut toujours trouver « pompières » les orchestrations parfois un peu denses de Don Ellis. On peut aussi considérer que certaines compositions ont pris un petit coup de vieux. On peut… mais on passe alors à côté d’un grand novateur. Ce Californien, trompettiste brillant, a été le compositeur qui aurait dû être considéré comme le fils spirituel de Duke Ellington si sa vie n’avait été si brève. A partir d’une palette sonore riche, les thèmes et les ambiances de Don Ellis (proches d’un autre précurseur isolé : Les Baxter, le père de ce que les commerciaux d’aujourd’hui appellent l’exotica) reflètent une inspiration très large. On découvre une musique généreuse et rigoureuse autour d’arrangements proprement infernaux sur à peu près toutes les métriques : 3, 5 (Alone), 7 (Indian lady à 3 temps mais surtout l’irrésistible Turkish bath dont on se demande pourquoi il n’est pas devenu illico un standard), 9, 11… jusqu’à 24 temps par mesure. Le tout servi sur un plateau par un orchestre homogène et efficace, même s’il n’a pas compté de grands solistes en son sein.
Sur cet album, Ellis qui alla même jusqu’à élaborer un prototype de trompette à quatre pistons permettant de jouer les quarts de ton mène son big band à la baguette. Nous sommes en 1967 et les réalisations du maître chez Columbia connaissent un vrai succès, tant du côté des amateurs de jazz orchestral que de rock expérimental (notamment pour cause de piano Fender, de percussions latino et de sitar). L’ensemble qui regroupe vingt-trois musiciens a fait une prestation triomphale au festival de Monterey l’année précédente.
Electric bath regroupe les plus efficaces compositions de cette période créatrice de Don Ellis et constitue sans doute son meilleur album. On note les emprunts qui vont de la musique classique à la musique indienne en passant par… Duke ! On se prend à rêver des collaborations qui auraient pu voir le jour entre ce grand organisateur et des solistes sans doute un peu plus marquants. Imaginez un peu Tony Williams aux baguettes, des arrangements avec Gil Evans ou les chorus d’un Booker Ervin ou d’un Jackie mcLean, d’un Lee Morgan ou de notre Martial Solal ! Don Ellis, dont l’influence, bien compréhensiblement, grandit, est sans conteste l’inspirateur de grandes formations des années 70. On pense à Zappa, au Mahavishnu Orchestra ou à Blood, Sweat and Tears. Une seule question : pourquoi cette musique n’est-elle pas réinterprétée retravaillée, redécouverte ? Ellis devise depuis décembre 1978 avec Beethoven, Debussy, Coltrane et tous les autres au paradis des musiciens et n’en a plus vraiment cure. Pas nous ! pour qui cette réédition est réellement bienvenue.