Le son de la côte Ouest, funk de highway plutôt que rap de rue, n’a jamais aussi bien sonné que dans les Chevrolet customisées qui laissent les basses de la TR-808 se répandre généreusement entre des woofers sur-dimensionnés. Aussi, lorsque Boots Riley débarque dans le rap, planqué à l’arrière d’une de ces Chevie durant les émeutes de L.A. en 1992, les flics en prennent plein la gueule. Conforme au funk gras et lent de la côte Ouest, son groove laidback se double cependant d’une sémantique de gauchiste radical qui le classe d’emblée à part. Nous sommes en 1993 et de fait, Kill my landlord, premier album du trio qu’il forme aux côtés de Dj Pam The Funkstress et E-Roc, s’efface derrière le gangsta-rap gros calibre imposé par Death Row qui vient de publier la norme des siècles à venir : The Chronic de Dr Dre.
La carrière de The Coup débute ainsi dans l’ombre épaisse qui entoure tout ce qui n’est pas purement gangsta. Paradoxalement, la reconnaissance ne viendra que des années plus tard lors de la sortie du Party music, et pour une toute autre raison, stupide histoire de pochette et de 11-Septembre. Mais pour l’heure, Boots Riley n’a rien d’un thug. Marqué comme Dre par le funk de Clinton, il l’est avant tout par les révolutionnaires rouges, hésitant un temps entre la Kalashnikov et le micro (Il fut membre des Young Comrades, groupuscule d’activistes noirs d’Oakland). Ouvrant son second album par une référence au Manifeste allemand là ou les gangsters d’NWA proposaient de tout brûler avant de lire, le Mc crypto-communiste va dérouler dans son coin une satire efficace du monde moderne à l’image de la trilogie Fat cats, bigga fish ou du génial Me & Jesus the pimp qui illumine le troisième opus Steal this album. Taillant une troisième voie dans le rap américain, forme mutante de social-capitalisme au pays des libéraux anti-barbus et des gangsters sans foi ni loi, Boots s’arrange avec Marx comme avec Dre, avec les pimps qu’il vénère (Too short…) comme avec les ascètes des Black Panthers.
Kalashnikov et diamants, clochards et patrons, rouge et or se croisent encore 15 ans plus tard à travers les contes fêlés de ce cinquième album. Funk grandiose aux frontières poreuses entre électronique et acoustique, le mixage vire d’emblée à la block party gigantesque, épopée funk sur grand écran, mélodies insistantes et refrains calibrés (« Get the monkey of your back », « Mindfuck »). Nourri de funk extravagant et de synthés analogiques mais aussi backé par les guitaristes Tom Morello (RATM) ou Eric Mc Fadden (Funkadelic), The Coup formule un croisement entre les beats cinglants de Prince, les orchestrations de Parliament et la colère des Dead Kennedy’s, dont le hurleur Jello Biaffra est invité ici. Mais cette bande originale idéale pour une après-midi de glande ensoleillée sur Venice Beach ne doit pas tromper ; Le sourire affiché par ce pimp communiste n’est qu’apparent…
Tenir les murs et en parler est un peu court pour Riley qui préfère au gangsta primaire un ton qui tranche d’avec la désinvolture de ces beats parcourus de bulles de Champagne. Contradiction vivante, comme il s’intitule lui-même, il marie dans le texte proverbes de sagesse maoïste, break-parties sur la plage et appels aux armes. Une attitude que le refrain du joyeux Laugh love fuck résume : « I’m here to laugh, love, fuck and drink liquor / and help the damn revolution come quicker ». Car si son flow nerveux l’embarque dans des courses poursuites dont il s’échappe avec dextérité verbale, changeant brusquement de registre sémantique pour échapper à la police (« I’m runnin from the police but i don’t have to rush / I’m so dope I jump in the toilet and flush »), il ne perd jamais son objet. Sa révolution par la fête reste une révolution. Entre ses mots, les have nots sont avant tout des gon’gets et son aplomb au micro renforce la crédibilité de celui qu’on sent backé par une armée de guérilleros prêts à en découdre. Le touchant We are the ones, hymne révolutionnaire qui combine humour et gravité emmène les bandits du monde entier déchirer avec lui les murs du Capitole. Narration fluide de sa propre vie, tirs de 45 dans le tas et nuits sous les ponts inclus, ce titre justifie l’attitude à lui tout seul. Plus proche des révolutionnaires cubains et sud américains -qu’il invoque- que de dealers de crack de Compton, Boots Riley reste furax, même planqué derrière ces murs d’hallucinations électriques. Mais entre ces rimes qui manient humour et lucidité, paraboles et récits épiques, on se sait jamais qui a le dernier mot de la révolution ou du Champagne, du rouge ou de l’or. Mao pourrait-il serrer la main à George Bush ? George Bush prêterait-il sa femme à Boots Riley pour une soirée ? Et Riley sait-il se servir d’un Kalashnikov ?
Détendu au premier abord, Pick a bigger weapon reste à l’image de la discographie du groupe, comme une version funky et cocaïnée du Manifeste allemand, un funk brûlant qui fait la fête sur la plage mais emmène son flingue au cas ou Bush se pointerait. Quinze ans après sa première livraison, il reste une bouffée d’air frais sur un rap sur-formaté. Mobb Deep s’en bat les reins, la gueule arrachée par leur collier G-Unit de douze kilos, mais Pick a bigger weapon est exactement ce dont l’été 2006 a besoin, un programme politique sérieux mais drogué. Que l’affaire Clearstream soit instruite en dansant, que Dominique réponde en rimes et on rangera nos flingues. Faisons la révolution, les gars, mais invitons plein de nanas. « Allons à l’Elysée brûler les vieux », mais allons-y en Chevrolet.