L’inoxydable New wave sorti en 1991 avait placé direct Luke Haines (maître des Auteurs) dans une très haute estime « musicale » pour tant de délicatesse et d’intelligence. Mais l’estime se transforma en ahurissement avec le sous-estimé Now I’m a cowboy, sorti deux ans après et volontairement plombé par une production de guitares lourdes et empesées. Un bras d’honneur qui est certes mal passé, mais l’affirmation d’une personnalité sans concession… Et un album où se nichait tout de même la plus belle chanson de ces dix dernières années, The Upper classes, aux déchirants accords désespérés. Plus tard, le pince-sans-rire Haines -et son gang- s’attacha les services d’Albini dans le sanctuaire d’Abbey Road pour enfoncer son clou avec le très noir After murder park sur lequel survolent (au moins) trois grands morceaux lumineux. Bref, Luke Haines est rentré très jeune en politique, bouffé par cet orgueil racé des classes populaires.
Cette noblesse des miséreux, Luke Haines la matérialisera avec Baader-Meinhof (autre projet sans The Auteurs), hallucinant album concept qui relatait l’histoire de la bande à Baader (terroristes ultra-gauchistes sanglants et allemands de notre enfance), en restituant de manière passionnante les sons et les gimmicks de l’époque. Il faut l’écrire aujourd’hui, Baader-Meihof est l’un des plus beaux manifestes politiques musicaux des années 90, et en cela Luke Haines confirmait une fois de plus sa spécificité et sa différence, comme il le fera avec l’autre parenthèse fielleuse et doucereuse de Black Box Recorder (autre groupe, autres mœurs).
Chose prévue et attendue, Haines a de nouveau réuni les Auteurs avec pour but d’enterrer, sans rire, les 90’s et de se mythifier (sans rire non plus) en glorifiant les seventies. S’il a le mérite et le bon goût d’éviter les années 80, c’est cependant raté pour la mythification, mais pas pour le rock (car il donne une suite à Baader-Meinhof en élargissant et enrichissant son horizon musical avec ses Auteurs -le rêve du fan club, quoi) ou pour les cyniques : car, c’est confirmé, les 90’s, Haines s’en bat les couilles.
Et quand on sait la langue de pute et le songwriter qu’il peut être, on aborde très fébrile et excité l’écoute de How I learned to love the bootboys (comprendre : « je suis bien obligé d’aimer les seventies, non ? »). Mépris ou passéisme ? Les deux mon capitaine, et avec cette question en prime : mais pourquoi est-il si méchant ? En effet, Luke Haines est un peu l’Orangina rouge du rock anglais, et c’est jouissif. De fait, s’il reprend les Rubettes, c’est pour mieux les enculer. Même principe sur How I learned to love the bootboys, un disco anecdotique aussi langoureux que Marthe Villalonga en string. Logiquement, c’est dans le punk que Luke Haines sonne « juste » (cf. l’exutoire sur Your gang our gang). C’est tout pour l’amusement. Pour le reste, on saluera l’éclectisme pop et la finesse sonique de l’entreprise (sur Some changes et Johnny and the Hurricanes notamment) mais on déplorera aussi peut-être le manque de profondeur de certains morceaux. Coutumier du fait, Luke Haines place cependant un chef-d’œuvre : Lights out (ballade retenue et pathétique) qui arrive à la fin de cet album anti-nostalgique, orgueilleux, frustré et décalé. Attachant, donc.