Un disque de Sophie Calle ? A l’heure où les seniors françaises se fendent de leur premier enregistrement (Isabelle Huppert avec Mme Deshoulières, Charlotte Rampling avec Comme une femme), il n’est pas surprenant que la nouvelle production de Sophie Calle, artiste multi-support (livre, film, photo…) se décline sous la forme d’un CD.
Comme toujours chez elle, sa participation se révèle plus fantomatique que franchement active : de la même façon que Sophie Calle ne prend pas elle-même les photographies qu’on lui attribue, c’est Tetine, duo « electro-artistique » (!) de Sao Paulo qui a réalisé réellement ce disque. S’appuyant sur le terreau de No sex last night et Double bind, Eliete Mejorado et Bruno Verner ont composé un environnement sonore incorporant les monologues de Sophie Calle dans le célèbre film qu’elle réalisa, en 1995, sur sa relation avec Greg Shepard. Samba de Monalisa, le bien nommé, est sans doute le premier disque de spoken word assis sur une base musicale en provenance du Brésil. Tetine, depuis sa naissance en 1995, a toujours tissé des liens étroits avec l’Art : n’ont-ils pas été les instigateurs d’Electrobrecht, la seule commémoration électronique de Bertold Brecht en 1998 ? Tetine est davantage familier des théâtres, cinémas et opéras que des dance-floors. La musique atmosphérique et lointaine de Tetine apporte un nouvel éclairage, inédit et enchanteur, aux autofictions de Sophie Calle.
La voix de Sophie Calle, naviguant d’un anglais scolaire à un français atone, partage en bonne entente la vedette avec des paysages synthétiques (I was an art dealer) ou ambient (I met him in the bar – part two). Elle rappelle souvent celle de Jeanne Moreau dans les films de la Nouvelle Vague, avec Greg Shepard dans le rôle d’Oscar Verner (Music for mechanics). Parfois, un simple accordéon (Accordion song) réincarne les ambiances désertiques de l’harmonium de la Nico de Marble index ou de Desert shore.
Le travail de Tetine et Sophie Calle est à rapprocher de celui de Genesis P. Orridge dans son projet Splinter Test (Welcome to Las Vegas, où l’on perçoit la voix surnaturelle de Roy Orbison) ou bien encore des constructions méditatives de Stephen Jones (Hotel Madrid). Sur le plan de la narration, le glissement du privé au public, de l’intime à l’oeuvre, cher à Sophie Calle, démontre avec brio qu’il existe des alternatives dignes aux cogitations loft-storyennes : le journal intime électronique. Samba de Monalisa est un album qui plaira autant aux amateurs d’electro bucolique qu’aux aficionados des éditions Acte Sud. A cette époque, la meilleure B.O. pour savourer l’orage qui menace de craquer à votre fenêtre.