Voilà le disque « hibernatus » de ce printemps. On avait presque tout a fait oublié l’existence de ces précieux Television Personalities avant de voir annoncer la sortie de ce copieux My dark places (16 titres pour près d’une heure de musique). C’est d’ailleurs sans mépris aucun que nous avions plus ou moins enfermé nos héros pop dans la rubrique « rétro » de nos discothèques : après tout, c’était déjà une manière de performance, pour un groupe aussi fragile, d’avoir enterré ses propres enfants, des spectoriens Jesus & Mary Chain aux velevetiens The Pastels -pour ne citer qu’eux-, avant de disparaître dans la nature à la moitié des années 90. Qui plus est, en guise de « nature », ce sont plutôt les affres de la prison -on le sait désormais-, suite à quelques addictions et moult désordres psychiques, qui ont retenu le fantasque Dan Treacy hors de ce monde pendant quelques années. Jusqu’alors, il était considéré comme disparu ou mort, ce qui constitue un sort à peine plus enviable, vous en conviendrez… L’histoire est juste un peu ironiquement comique quand on se souvient que ce groupe chantait I know where Syd Barrett lives lorsque l’ex-leader de Pink Floyd observait lui aussi une retraite (in)volontaire, quelque part à Cambridge.
Bien décidé à ne pas suivre la voie du vénérable « fou chantant » britannique, Dan Treacy a donc réactivé ses Television Personalities avec l’appui de son fidèle acolyte Jowe Head. La nouvelle étape de ce parcours -on ne saurait finalement parler de « carrière »- frappe tout d’abord par son anachronisme jusqu’au boutiste : qu’il s’agisse de démarche assumée (comme chez un Jad Fair) ou d’incapacité à dépasser les limites de son domaine (comme chez un Daniel Johnston), le monde des Television Personalities semble figé dans la résine austère et séminale de l’inaugural Part time punks de 78, ou du dernier grand album en date : le sombre The Painted word sorti en 1989. En 2006, à notre grande surprise, Dan Treacy a toujours cette voix d’enfant apeuré (l’émouvant No more I hate yous ou ce Dream the sweetest dreams plein de fuzz) voire d’adolescent psychotique (Ex-girlfriend club qui, malgré les ricanements, se fait très tendu : « Welcome to my ex-girlfriend club/visit the salad bar »). On retrouve également ces chansons tenant sur une patte, à peine soutenues d’un accord de guitare, d’un filet d’harmonica ou d’un piano stoogien comme sur Special chair, magnifique titre d’ouverture: dans ces moments-là, la magie des TVPs est intacte. Pourtant, plus que jamais, la couleur est au gris anthracite, parfois même un peu trop : une fois passé un titre heureusement groovy (l’impeccable You kept me waiting too long), une pochade sur le Velvet (où, comme Jonathan Richman en son temps, il s’interroge : « It’s the 8th mystery of the world I’ve found / how did the Velvet Underground get that sound ? ») et quelques ballades brise-coeur (There’s no beautiful ways to say goodbye), on se prend en pleine face ce trop plein de souffrance dont témoigne l’album : on comprendra qu’il n’est pas titré My dark places par hasard. Des chansons comme Sick again sont plutôt éprouvantes à écouter, que l’on songe à l’âpreté de l’habillage sonore ou au propos, plus proche du documentaire cru que de la chanson pop. Pour tout dire, on se sent souvent « voyeur » dans cet album. A d’autres moments, le cachet excessivement cheap de la musique confine au mauvais goût : les synthés-crincrin de They’ll have to catch us first ou de My dark places rivalisent d’ignominie pour faire fuir le moins pleutre de l’auditoire. Il faut dire aussi que, une décennie s’étant écoulée, un morceau comme She can stop traffic sonne affreusement régressif à qui n’est pas resté sensible aux charmes de ce que l’on a appelé depuis « l’école gnan-gnan ». On sent, de toute façon, que Dan Treacy n’a que faire du monde qui l’entoure et se complait dans son rôle de Roi de la pop en déroute, perdu dans une époque qui n’est plus la sienne. Ecoutez seulement Knock it all down où il tire un bilan sévèrement auto-appitoyé pour vous en convaincre : « Look at me now / The King has lost his crown / I’m still wearing a frown / What did they know that we didn’t know / Took me for a fool/As usual ». La messe est dite : Ceux qui m’aiment prendront le train ! Quand aux autres, qu’ils aillent au diable…