Telepopmusik se présente comme le produit de synthèse de trois laborantins musiciens, Fabrice Dumont (aka Zebulon, ancien membre d’Autour de Lucie, ici arrangeur et architecte sonore), Stephan Haeri (ancien -ne le répétez pas- Planéte Zen, ingénieur du son, producteur) et Christophe Hétier (DJ sous le nom d’Antipop, scratches et perturbations), trois entités complémentaires, aux tâches équitablement réparties, qu’on imagine en blouses blanches, penchées sur leur établi chromé, le scalpel à la main, pour restituer ce Frankenstein post-humain de morceaux épars, cet alliage doux et lisse de sonorités génétiquement modifiés, que constitue ce premier album Genetic world.
La métaphore génétique tient au caractère particulièrement harmonieux, lisse et sans aspérités d’une musique variée (electro, house jazzy, pop, trip-hop, hip-hop, electronica) montée sur ordinateur, mais de laquelle s’échappe continuellement ce parfum d’inquiétante étrangeté, celui-là même que l’on humait tout le long de Bienvenue à Gattaca, ce film Hitchckokien qui déclinait un futur génétiquement programmé, le meilleur des mondes dessiné par Franck Lloyd Wright et Malthus. Selon Stephan, « on n’avait pas prémédité cette métaphore, elle est venue plus tard et correspondait plus au fait qu’on a joué sur des instruments toutes les musiques, mais qu’on les a beaucoup modifiés sur ordinateur. C’est une musique génétiquement modifiée en ce sens. » Entre la spirale infinie de l’ADN et la programmation minutieuse, la musique électronique de Telepopmusik se distingue surtout par ce son, polissé et riche en textures douces aux oreilles. Une espèce de perfection du son, harmonisant les contrastes, les panoramiques, avec une dynamique qui n’agresse jamais. On ne s’étonne pas que Genetic world et Dance me aient servis de bande son pour les pages d’accueil de l’opérateur Noos. Cette musique distille la même impression lisse de torpeur bobo, comme un travelling zigzaguant dans un intérieur zen, avec le dalmatien qui baille dans un coin.
L’album oscille ainsi entre robotisme kraftwerkien assoupi (Genetic World, Dance me), trip-hop tendance The Child (Alex Gopher, lui aussi passé par la case Noos) aux arrangements amples (Breathe, Smile) et hip-hoperies bondissantes et carrées (Da hoola notamment est une réussite de hip-pop tubesque, avec le flow fluctuant de Soda-Pop (alias Mau, des Dirty Beatnicks). Même si les morceaux hip-hop sont parfois un peu laborieux, les featurings sont plutôt judicieux (on remarquera la présence de Gonzales et Peaches, pour un participation un peu trop minimale au regard de ce que le duo est capable de produire). Yesterday was a lie est une merveille cinématique de promenade « après la bombe » dans un New-York qu’on imagine dévasté, sur un spoken-word oppressant et une batterie jazz réverbérée du plus bel effet. De petits intermèdes instrumentaux appelés Lab finissent de conceptualiser le projet.
On retiendra de cet album l’intelligence de la production, la sophistication des arrangements, et la diversité des genres musicaux. « On avait envie de faire un album à l’ancienne, où tous les genres musicaux ou presque seraient représentés. Les disques d’aujourd’hui sont souvent monotones car calibrés pour correspondre à une cible particulière d’acheteurs potentiels. Nous voulions faire un disque universel. Un peu comme l’album blanc des Beatles. Toutes proportions gardées évidemment. ». Pour ce qui est de la diversité, on y est presque, mais il manque tout de même à cet album trop parfait l’étincelle de vie, la marge d’erreurs qui fait la postérité des grandes oeuvres. Comme disait je ne sais plus qui, « Le talent fait ce qu’il veut, le génie fait ce qu’il peut. »