Le label chicagoan Hefty s’est spécialisé dans un genre audacieux : la rencontre entre la pop-rock (couplets-refrains chantés) et l’electronica la plus GRM-sophistiquée, au service d’une musique visant le public non seulement indépendant, mais aussi mainstream si possible. Telefon Tel Aviv serait ainsi au rock un peu ce que Jay-Z est au rap et Basement Jaxx à l’electro-house : poussant la sophistication de la production jusque dans le plus inframince détail, pour une musique mutante et baroque. Malheureusement, comme leurs confrères de références, le duo formé par Charles Cooper et Joshua Eustis, pêche aussi bien souvent par excès, et si ce nouvel album, Map of what is effortless, est évidemment une merveille en terme de production, il est bien souvent une horreur en terme de mélodies, de chansons, simplement de mauvais goût.
Après un Fahrenheit fair enough plutôt aride, ce nouvel album marie la texture sur-travaillée et le beat très concassé avec la chaleur vocale de Damon Aaron et Lindsay Anderson, la chanteuse du groupe post-rock L’Altra. Et mis à part deux titres qui font feu de tous beats, l’album est plutôt atmosphérique, planant, ambiant. Le single My week beats your year évoque au mieux Max Tundra (les facéties rythmiques) ou The Soft Pink Truth (c’est dansable), au pire Telepopmusik (le vocoder génétique). Le reste de l’album rappelle les ambiances chill-out des 90’s, Future Sound of London, Gentle People, avec une utilisation ambiant des rythmiques : surmixées, très en avant, au dessus du chant, de façon à ne plus être vraiment perceptible. Malgré quelques sommets (le morceau titre, qui fait intervenir et muter numériquement les cordes du Loyola University Chamber, en une belle orchestration futuriste et angoissante, rappelant les plus sombres heures de Massive Attack) les chansons sont impossibles : évoquant Sting ou n’importe quel groupe mainstream un peu new-age, avec des intros convenues au Wurlitzer, des nappes sirupeuses, des envolées lyriques barbares, pas vraiment de mélodies. Si on est gentils, on dira que ça ressemble à Archive ou Massive Attack en plus electronica, ou aux Flaming Lips en beaucoup moins doués.
L’ambition de ce genre de projet, de post-moderniser la pop au travers de divers filtres VST, si elle est méritoire et sans doute fondatrice, se matérialise malheureusement par des morceaux qui ne sont pas à la hauteur, et on ne peut ici se satisfaire d’une écoute passive de la production, puisque peu de titres, au final, sont seulement instrumentaux. On attend toujours le musicien qui saura opérer cette transition post-moderne entre la pop-culture et sa numérisation (récent espoir déçu : Octet, qui n’a pas renouvelé le single Hey bonus sur un album d’électronique terne)…