A quoi bon sortir en 2011 un premier album estampillé dubstep, si cela veut encore dire quelque chose ? Sully sort pourtant son premier album quand la plupart de ses collègues en sont déjà à leur deuxième essai et s’essaient au choix à la techno dubby et minimal en mode papier-peint ou au carcan mainstream, et que l’on commence déjà à chercher une concession libre au cimetière des musiques urbaines d’outre-manche pour enterrer le genre. Sully ne semble pas se poser la question : de toutes façons, il n’a jamais rien fait comme les autres. Peu prolifique, on compte à son actif une dizaine de maxis depuis 2007 et trois autres en duo avec Sneer, sous le nom d’Innasekt. Avant ça, Jack Stevens avait commencé par produire des tracks drum & bass au sein de Spectrasoul ; autre preuve de son indépendance d’esprit, il continue à sortir des maxis de jungle pendant qu’une bonne partie des vieux junglists s’essaient laborieusement au dubstep (on pense à Photek ou Lemon D, qu’on a récemment entendu se ridiculiser à l’exercice).
Carrier sort donc sur le label Keysound Recordings à qui l’on doit cette année l’excellent Routes de LV & Joshua Idehen, sorte de version lumineuse du Black sun de Kode9 & The Spaceape. On ne s‘étonne pas que le disque soit publié par cette maison gérée pour moitié par Martin Clark, l’autre grand « théoricien / historien » de la scène UK bass avec Steve Goodman (alias Kode9, donc). Les amateurs connaissent forcément ses comptes-rendus mensuels Grime/Dubstep pour Pitchfork. Et effectivement, Sully semble faire oeuvre d’archéologue. Son album début ainsi avec deux titres qui sonnent comme une déclaration d’amour au 2-step le plus sombre du début du siècle, soit une éternité dans le calendrier de la dance music anglaise. In some pattern, sorti en maxi début 2010 et considéré jusqu’à présent comme son grand oeuvre, creuse le sillon de cette veine old-school avec ces synthés « purple », qui faisaient sensation il y a 2 ans, et son gimmick breakbeat hardcore, qui dévoile sa facette junglist. Arrivé à ce stade de l’album, Encona marque la seule incursion du disque en territoire purement dubstep : paradoxalement, le morceau semble un peu daté et désuet dans ses schèmes trop formatés.
Mais immédiatement après cet interlude janséniste, Sully prend le large vers Chicago et opére un virage vers le footwork qui règne sur toute la seconde moitié de l’album. Comme beaucoup d’amateurs de musique électronique, Sully a été marqué par les sorties l’an passé sur Planet Mu des disques de Dj Nate et de la compilation Bangs & works, qui exposaient pour la première fois au monde entier cette mutation passionnante de la ghetto music. Véritable bouffée d’air frais, l’émergence du footwork a permis aux producteurs de dubstep et affiliés, qui commençaient à tourner en rond, de redécouvrir que la dance music pouvait être primitive, spontanée et jouissive comme lorsque leurs ainés, à la fin des années 80, se prirent d’amour pour la house de Chicago et la techno de Detroit.
La porte de sortie Exit, enfin, signale un retour au pays en forme d’hommage à Burial, toujours star de la scène, et condense en deux minutes tous les clichés qui ont fait la gloire de ce dernier, mais pour notre plus grand bonheur : voix pitchées, rythmique balbutiante, ambiance fin du monde et notes mélancoliques. La boucle est bouclée.