Tommy Boy, le label new-yorkais aux trois danseurs, qui introduisit au monde Afrika Bambaataa, De La Soul, House of Pain et (ahem) Coolio, fête cette année ses 20 ans au service du hip-hop. Débutée avec un Planet rock révolutionnaire aux côtés des pionniers Sugarhill et Enjoy Records (qui eux ne survécurent pas à l’agonie de l’electro au milieu des années 80), la carrière du label s’est poursuivie spectaculairement durant l’âge d’or du hip-hop new-yorkais, ces Golden Years 1987-1990 où ils imposèrent le style cool et décalé de De La Soul et Digital Underground. Fidèle à une esthétique « bon esprit » loin des outrances suicidaires du gangsta rap, Tommy Boy a traversé les années 1990 sans faiblir, tout en s’offrant de temps à autre un classique (On point de House of Pain, Hip hop hooray de Naughty By Nature) ou même un hit mondial (Gangster’s paradise de Coolio). Et chacun est content de retrouver 20 ans plus tard, fidèle au poste, celui qui est devenu le plus vieux et l’un des plus prestigieux label indépendant du rap US.
Après The Greatest beats, une première compilation-catalogue annonciatrice de l’événement il y a deux ans, les choses sérieuses ont vraiment commencé ces dernières semaines, avec un ambitieux programme de rééditions des albums et maxis les plus rares du label : une première salve a été tirée en direction des amateurs d’electro avec des albums du Jonzun Crew, de Planet Patrol et du Zulu King lui-même, Afrika Bambaataa et sa Soulsonic Force ; les allergique aux synthétiseurs spatiaux et aux vocoders se rabattront sur les ressorties des deux premiers albums de Stetsasonic, le sous-estimé groupe de Daddy-O et du jeune Prince Paul (on annonce ensuite De La Soul et Queen Latifah).
C’est peu dire en effet que les Stetsasonic n’ont pas la place qu’ils méritent dans le panthéon du hip-hop. Grandis en même temps que Public Enemy, Boogie Down Productions, EPMD ou Eric B & Rakim, ils n’ont jamais atteint leur niveau de succès et de célébrité, sans développer cette aura séminale qui racheta par exemple les Ultramagnetic MCs. Discrétion ? Malédiction ? On ne peut pas s’empêcher de penser que la carrière subséquente de Prince Paul (débutée en fanfare avec le 3 feet high and rising des De La) a injustement éclipsé ses précédentes aventures discographiques avec un Daddy-O au moins aussi imaginatif que lui aux platines et à la production.
Sorti en 1988, l’année royale du It takes a nation of millions to hold us back de Public Enemy et du Critical beatdown des Ultramagnetic MCs, In full gear tient sans problème la comparaison : à partir des mêmes ingrédients (l’évangile Funk selon James Brown), il développe un hip-hop ludique et relâché, capable de tenir sur 17 titres sans lasser ni se répéter. Prince Paul et Daddy-O se croisent aux platines et au sampler, renouvelant sans cesse leur style, tout en laissant la place pour les autres (DBC, Delite et Wise).
On pense parfois aux Beastie Boys post-License to ill (comme sur This is it y’all (go stetsa II), sur lequel on s’attend à tout moment à les voir débouler avec leurs rimes criardes), on cherche à deviner la suite, comme avec ce Music for the stetfully insane sur lequel Prince Paul quitte un moment les breakbeats façon JBs pour s’essayer à l’instrumental laid-back. Une technique qu’il perfectionnera par la suite sur les albums de De La Soul. On navigue d’un style à l’autre juste pour s’amuser (reggae digital mixé par Scientist sur The Odad, bass music sur le justement nommé Miami bass, évidemment supervisé par Luke Skyywalker). Le meilleur titre de l’album restant néanmoins l’unique morceau produit par Delite, ce Talkin’ all that jazz aux inflexions Blue Note annonçant Gangstarr et A Tribe Called Quest (3 remixes sont offerts en prime aux acquéreurs du CD).
Alors c’est vrai, les Stetsa n’ont ni la cohérence marmoréenne de Public Enemy, ni la brutalité salace des Ultramagnetic MCs. Ils sont là juste pour s’amuser, scratcher quelques vinyles funk et rapper avec les potes. Plus Sugarhill Gang que Last Poets, donc. Cet album prouve cependant qu’on aurait tort de le leur reprocher.
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