L’histoire prête le flanc aux interprétations ragoteuses et/ou mythologiques. Romulus et Remus, Abel et Caïn, ce genre. Sauf que. Lorsque la fratrie Herman Düne se sépare après le feu d’artifice Giant, David-Ivar et André suivent chacun leur route: au premier le devant de la scène médiatique indie « tout public », au second les CD-R et le circuit DIY – et c’est très bien comme ça, chacun des deux frères semblant avoir trouvé le véhicule idéal pour ses jolies chansons.
Chance suprême pour nous, il se trouve que la nature a distribué équitablement le talent: n’étaient les conditions de production, on serait bien en peine de départager les morceaux du canal historique de ceux du dissident. C’est ce dernier – sous l’alias Stanley Brinks – qui nous occupe aujourd’hui, avec le genre de projet invendable que lui permet son échelle artisanale: un concept-album, donc, adapté de R.U.R., une pièce de théâtre de science-fiction des années 1920 et signée du grand auteur tchèque Karel Čapek.
Stanley Brinks en reprend la trame et les personnages: en premier lieu, un groupe d’humains attendant tant bien que mal l’extinction de leur espèce, supplantés qu’ils sont par des robots ultra-perfectionnés nés du cerveau d’un savant prométhéen; s’ensuivent les atermoiements sentimentaux de deux des leurs, qui découvrent l’amour à travers l’une des dernières représentantes de l’humanité. Sur ce canevas à la fois vintage et éminemment contemporain (on n’est pas loin d’Ex Machina), André-Stanley brode ce qu’il sait bricoler de meilleur: des chansons folk. Le premier titre (peut-être le meilleur), RUR Calypso, parvient à épater en toute sobriété: le refrain s’imprime immédiatement, la mélancolie eschatologique est palpable, on est à la fois dans le mélo d’anticipation et la chanson catchy. On sait alors qu’on va suivre Stanley Brinks dans sa drôle d’entreprise qui étreint d’un seul tenant Daniel Johnston, Donovan et Asimov.
Loin des synthés rétro-futuristes attendus sur ce terrain SF, le barde s’en tient à un folk dépouillé mâtiné d’influences yiddish, mais aussi méditerranéennes au sens large. L’oreille voyage dans les folklores, grec notamment, éclairant le récit d’anticipation d’une lumière gaiement mélancolique: crépuscule solaire, soleil crépusculaire. Si quelques langueurs se muent çà et là en longueurs, l’ensemble séduit, durablement, comme un petit robot un peu cabossé en quête d’amour. Comme une belle collection de chansons siglées Herman Dune en douce.
Reste à se procurer l’objet, probablement disponible en ligne sous peu, et surtout à la sortie des fréquents concerts de l’homme à casquette un peu partout. Car c’est sur les scènes de poche, auxquelles il est resté fidèle, que ces chansons prennent toute leur ampleur, instaurant un charme aussi entêtant que l’ouvrage dont elles sont inspirées.