Comme la plupart des choses incroyables -le 11 septembre 2001, les paroles de Jeffrey Lewis, les filles incrédules devant nos déclarations maladroites-, cet album de Spiritualized ne devient une (énorme) évidence qu’après une dizaine d’écoutes. Les premières étant uniquement consacrées à de petites activités ludiques : écarquillement des yeux, relâchement des barrières auditives, abandon de la station debout, destruction immédiate du dernier album de Mercury Rev, enfoncement de quelques centimètres dans le canapé, beuglements de joie et finalement larmes de bonheur et de consolation.
On s’y attendait un peu mais le quatrième album de Spiritualized est un monument, un remède d’une efficacité à peu près optimale, et les progrès de la formation menée d’une poigne de fer par Jason Pierce (il licencie sans pitié la moitié de ses collaborateurs avant d’entamer l’enregistrement du disque) peuvent s’apparenter aux progrès pharmaceutiques dans le domaine des pansements. Let it come down = gel actif.
Certains, ceux qui voyaient aussi chez Spiritualized la probabilité d’une entité avant-gardiste et jusqu’au-boutiste (la fin de Ladies and gentlemen we’re floating into space en était une bonne indication), seront probablement déçus. Parce que ce disque est totalement dépourvu de nouveautés. Pour enfoncer une porte ouverte de plus, on dira que Spiritualized fait du Spiritualized. Et c’est tant mieux parce qu’il est toujours réconfortant de voir ce genre de groupes atteindre des sommets et proposer un album qui risque le carton planétaire malgré une carrière marquée par des abus divers. En Grande-Bretagne, Spiritualized est depuis longtemps une institution ; ailleurs, ses fans faisaient tout pour propager la bonne parole. Désormais, les lois du marketing et de la musique œuvrent aussi en ce sens.
Jason Spaceman a déjà prouvé qu’il pouvait composer des tubes, mais même un morceau de la trempe d’Electricity se voit rétrograder ici en vulgaire face B par les assauts conjugués de On fire qui ouvre l’album sur les chapeaux de roue, The Twelve steps une furia composée comme un morceau de house (un break au milieu avec montée puis redite du thème d’ouverture encore plus fort) mais efficace et jubilatoire comme un morceau des Stones et du MC5. Et puis il y a le cas très intéressant de Do it all over again, reprise subliminale de Voilà l’été des Négresses Vertes (sic) composées pour chorégraphies de vaisseaux intergalactiques. Le reste de Let it come down se compose principalement de ballades extrêmement émouvantes, de déclarations d’intentions, de regrets et d’auto-apitoiement dont les sommets sont le single Stop your crying (« nothing hurts you like the pain of someone you love ») et la reprise presque optimiste de Lord can you hear me que Pierce composa sur la fin des Spacemen 3, ici soutenue par des chœurs gospel et un bottleneck stonien. Comme quoi sa vision artistique était déjà on ne peut plus claire à l’époque.
Simple et évident, massif comme le ciel peut l’être parfois, rongé de l’intérieur par une tendresse insupportable et inconvenante, Let it come down est le genre d’album qui nous rendrait à nous-mêmes malgré l’adversité. Comme tous les disques de Spiritualized en somme.