Il y a de cela quelques années, un vieux chanteur communiste, ami d’Aragon, chantait Je ne suis qu’un cri ; si Souad Massi n’a rien à voir avec ce chanteur, son premier album, Raoui, est en revanche une longue et douce succession de cris de tous ordres.
Cris étouffés, de joie comme de peur, de celle qui chante d’une voix vibrante ce conteur, Raoui. Cri d’amour, quand Souad chante Je hais ce coeur qui t’aime encore, Nekreh el keld, ou encore Ne pleure pas, Matebkiche. Cri d’espoir, aussi dans Un Jour viendra, Amessa. Une femme algérienne qui dit ce que les médias ici dénoncent, ce pays à genoux face aux forces obscures. Quand à cela s’ajoute une voix sibylline et pure, des textes forts autant qu’humanistes, et des ambiances musicales variées, c’est un petit événement qui mérite d’être remarqué.
Née à Alger en 1972, Souad Massi grandit dans une famille d’artistes, partagée entre des études de musique arabo-andalouse, des cours de solfège et de musique classique. Alors qu’elle termine ses études d’ingénieur en urbanisme, elle fait quelques tentatives musicales, restées sans suite, jusqu’au succès, aussi grand que soudain : on est en 1997, sa première cassette se vend comme des petits pains. Mais cette célébrité rapide, due en partie à la liberté de ton de cette auteur / compositrice / interprète a très vite sa part d’ombre, et les ennuis s’accumulent, jusqu’à ce que Souad Massi décide de quitter l’Algérie et de s’installer à Paris, en janvier 1999, suite à une invitation au festival Femmes d’Algérie. La roue tourne, et tout s’accélère : Festival « les Suds à Arles » durant l’été de la même année, premières parties d’artistes comme Geoffrey Oryema, et surtout, le 13 décembre 1999, la première partie d’Idir, à l’Olympia. En moins d’un an, sa carrière en exil est lancée : Island décide de la signer, et lui laisse carte blanche pour son premier album. Comme le conte de fée n’a pas de raison de s’arrêter, c’est avec Bob Coke, l’arrangeur de Ben Harper, qu’elle va concocter cet album aux ambiances envoûtantes.
Premier album, première chanteuse algérienne qu’il nous soit donné de connaître de ce côté ci de la mer, c’est aussi un son nouveau que Souad Massi nous fait découvrir : Raoui est sans doute le premier album folk-rock en provenance d’Algérie. Des notes qui rappellent Tracy Chapman dans Denya ou Awhalm, une guitare sèche à faire pleurer évoquant Idir dans Raoui ou Hayati, une voix cristalline ou grave, entre Joni Mitchell, Tanita Tikaram et Toni Childs. L’album alterne entre des morceaux rock, Amessa, un son folk rappelant Joan Baez, J’ai pas le temps, et les sons traditionnels du chaabi -violon, oud et voix, d’inspiration orientale-, dans Nekreh el keld ou Rani Rayah. Toutes ces références musicales, assumées par la chanteuse, sont « emballées » dans des arrangements de haute volée, qui donnent à chacun des quatorze morceaux de l’album une tonalité particulière.
Raoui, premier album, est un autre visage, une autre voix de l’Algérie, loin de la vague raï, sauf à voir en Souad Massi la digne héritière de Cheikha Rimitti. On n’en est pas encore là, mais ce premier essai ouvre grand le chemin pour la suite : à commencer par la scène.