Murray street est le seizième album du meilleur groupe new-yorkais de tous les temps, Sonic Youth, et le premier album intégrant « Diamond Jim » O’ Rourke comme cinquième membre officiel (basse, guitare, samples), ingénieur du son et producteur (il avait déjà collaboré à l’album précédent, NYC ghosts and flowers). On retiendra que sa conception a été marquée par les événements du 11 septembre 2001, « Murray street » étant le nom de la rue ou se trouve le studio de Sonic Youth, « Echo canyon », en plein cœur de Manhattan. Ce seizième opus se veut rassurant dès la première écoute : le groupe est revenu aux bons vieux riffs de guitare et Steve Shelley est toujours le meilleur batteur d’indie rock du monde… Une surprise de taille cependant : Thurston Moore semble avoir mué et retrouvé une voix d’adolescent.
The Empty page, morceau d’ouverture, donne immédiatement le ton du disque : plus écrit, plus rock, moins éparpillé et improvisé que les précédents albums (A Thousand leaves et NYC ghosts and flowers), le son global est brut, précis et dynamique, sans surproduction ni surmixage inutiles à la Dirty (Butch Vig, Andy Wallace -1992). Sur Disconnection notice, on reconnaît la touche de maître O’ Rourke qui sample un modem pendant que Thurston critique les aléas de la communication au XXIe siècle : « Did you get your disconnection notice, mine came in the mail today (…) it simply states you’re disconnected baby, see how it easily slips away ». La séquence instrumentale de ce morceau rappelle d’ailleurs parfois certains disques solos de la nouvelle recrue du groupe… La formation actuelle, trois guitares, basse, batterie, donne une nouvelle souplesse au groupe qui semble très à l’aise et plus inspiré, notamment sur Rain on tin, où s’enchaînent près de huit minutes de fluides guitares sans effets superflus (adieu les delays de huit secondes et les pédales auto-wahs). Comme d’habitude, on retrouve ensuite Lee Ranaldo sur un seul titre du disque, qui revisite le Karen Coltrane de A Thousand leaves en une sorte de Mote (Goo -1990) que le groupe n’aurait pas répété depuis dix ans.
Deux saxophonistes sont invités : Jim Sauter et Don Dietrich, du trio Borbetomagus, qui participent au plus grand solo de bruit de l’histoire du groupe depuis Becuz (Washing machine -1995) sur la chanson au titre tordu, Radical adults lick godhead style, semblant s’être échappée de l’excellent et méconnu Psychic hearts (album solo de Thurston Moore -1995). En fait, Murray street étonne par son homogénéité et par sa cohérence : les titres s’enchaînent logiquement sans accroc ou obstacle sonore, jusqu’aux deux derniers des sept morceaux de l’album, Plastic sun, chanté par une Kim Gordon apaisée, et le magnifique Sympathy for the strawberry, qui clôt le disque. Le groupe prend ici peu de risques (Sonic Youth fait du Sonic Youth et c’est bien), mixe les meilleurs ingrédients des anciens enregistrements et sert ainsi un nouvel album qui le tire définitivement du cul de sac dans lequel il s’était égaré à l’époque de A Thousand leaves, lorsqu’il s’obstinait à jouer d’ennuyeux morceaux trop longs et trop bruyants.
Murray street, qui constitue le deuxième volet d’une trilogie « à propos de l’histoire et de la culture de Manhattan », débutée avec NYC ghosts and flowers, ressemble parfois à un ancien album de SonicYouth que l’on aurait oublié et que l’on aurait envie de redécouvrir. Un opus très accessible du groupe qui pourrait bien avoir été écrit il y a plusieurs années et une notion d’intemporalité qui en fait sans aucun doute un très grand disque. A réécouter régulièrement.