D’abord, les notes bibliographiques : le suédois Andreas Bertilsson vit à Berlin, où, tiens tiens, il est étudiant en arts plastiques, et où il bricole des installations sonores. Il entretient des relations amicales et artistiques avec son compatriote Andreas Tilliander, star du laptop et résident habitué de Mille Plateaux. Il sort son premier disque, avec une jolie pochette arty, recouverte de gribouillages naïfs façon art brut tendance, et qui n’utilise que des enregistrements environnementaux effectués dans son environnement proche. Bref, voici un portrait ma foi fort banal pour un nouveau venu s’essayant à un certain type de musique électronique, qui paie bien évidemment son tribut à celle d’Oval. Pourtant, derrière ces faits attendus et entendus, se cache un très joli disque, mélodique, apaisé, et bien plus singulier que veulent bien le prétendre toutes les informations qui ont devancé notre écoute.
Ca fait de toute façon bien longtemps que l’esthétique brisée et mutante de Markus Popp ne fait plus peur à personne, et que la pop musique mondiale s’en accommode -à travers les frasques de Fennesz, Stephan Mathieu et consorts. Le jeune Andreas Bertilsson l’a bien compris, et s’empare tout juste de deux ou trois affects particuliers de l’électronique contemporaine pour construire ses vignettes humbles et réservées, lesquelles privilégient la joliesse et la discrétion, en ignorant tout précepte théorique ou politique. Loin de la masse prise de tête, le suédois créé tranquillement sans s’inquiéter des comparaisons, et il a bien raison, car sa musique est (le plus souvent) fort belle. La seule ligne de faîte qu’il suit tient donc, on l’a dit plus haut, du matériau sonore de départ, fortement ancré dans son quotidien et dans sa vie privé. Ca ne s’entend bien évidemment pas, les mille et une possibilités du DSP (Digital Sound Processing = traitement numérique du son) permettant toutes les folies, mais ça nous éclaire un instant sur les intentions du jeune homme et sur le titre de son album : Face takes shape, soit un visage qui prend forme. Cette inclination autobiographique le rapproche des oeuvres intimes des cousins Alejandra & Aeron et de leur label Lucky Kitchen, dont bon nombre de références (les disques de Toshiyuki Kobayashi ou Joshua Abrams, membre de Town & Country, notamment) entretiennent d’étranges rapports esthétiques avec la musique de Son of Clay, comme si l’utilisation des sons du quotidien finissait toujours peu ou prou par influencer l’esthétique de la musique elle-même, malgré des techniques de travail très différentes. Petites ritournelles, sonorités de boîte à musique, introspection : si les matériaux sonores sont déformés au delà de toute possibilité de reconnaissance, on retrouve ici cette même propension à l’égarement, à l’étirement du temps, aux doux remous de l’intime.
D’une ritournelle très oval-esque (Little wheel) à quelques mélodies étirées à l’extrême (Bed on my back), en passant par quelques moments plus sombres et désincarnés (NoteBook, Trapped like a rat in a pack), on a donc affaire à de la musique digitale, moderne. Mais ce qui subsiste des écoutes répétées et enivrées des onze morceaux de l’album, c’est avant tout la rencontre avec un garçon timide, caché derrière ses manipulations. Quand un orgue se détache sur le très émouvant Road to Purple, you turn to me, quand il dédie une chansons à sa petite amie, Andreas Bertilsson ressemble à un jeune ado attardé un peu neuneu, et c’est cette image, au détriment de celle du sound-designer avisé, qu’on retiendra de sa musique généreuse.