C’est en 1988 que Jonathan More et Matt Black créent l’émission Solid steel à Londres. Sous la bannière Coldcut, ils officient alors à la radio pirate Kiss FM. A l’instar de Dee Nasty et son Deenastyle en France, les deux Anglais se forgent une bonne réputation dans les milieux underground purs et durs, et des milliers de fans se mettent à enregistrer leurs émissions, sur de bonnes vieilles K7. On peut aujourd’hui les retrouver sur le 94.9 FM de la BBC. Et tout ces tunes-show émanent des efforts du label Ninja Tune. Ca fait 13 ans que ça dure et c’est souvent très bon…
The Broadest beats est orchestré par PC, Strictly Kev & Dk. Les deux premiers appartiennent au collectif Dj Food (qui nous a livré son Kaleidoscope il y a plusieurs mois), tandis que Dk aka Darren Knott est un enchaîné régulier des émissions Solid steel. Rappelons que ces tunes-show n’ont pas vraiment de règles quant à leurs participants et leurs sonorités. De fait, on trouve de tout ici, on brasse du vinyle jay-pop comme du ska vieillot, on retourne les entrailles des Commodores sans pitié, dont on écrase les voix avec des breakbeats. On s’amuse d’ailleurs d’entrée de jeu avec le remarquable hip-hop du Come clean de Jeru tha Damaja (produit par Dj Premier) qu’on saupoudre de nappes sorties de Cinematic Orchestra. On place aussi des signatures Ninja Tune çà et là, comme Neotropic et leur Beached planant et rythmé, qui fuse de beats et de voix résonnantes. Des breaks et des bits, des breakbeats aussi, sur le Terrorist de Dj Vadim, où l’on croit reconnaître le flow de Motion Man (acolyte de Kool Keith sur Masters of illusion). Un titre hip-hop branlant, où les basses gonflées sautillent méchamment, où les scratches déformés sont rois, où la rythmique s’excite toute seule et vire drum & bass.
On retrouve -globalement- une atmosphère hip-hop sur The Broadest beats, même si ce foutoir organisé vire très souvent vers un son difficile à désigner, sémantiquement parlant. Comme si Lalo Schifrin et John Barry faisaient un 69 en écoutant David Shire se masturber sur les instrus de Dj Toolz. Un chaudron bouillonnant, un maelström de bouillie sonore passé dans un filtre de beats, eux-mêmes filtrés par des pianos tintinnabulants. Tout heureux de retrouver une portion de morceaux de David Shire et son Taking of Pelham, on se rend compte que ce titre d’anthologie fut aussi magnifié par Mix Master Mike sur Suprize pakidge, issu de l’herculéen Anti theft device. Un opus qui pourrait d’ailleurs passer entièrement sur les émissions Solid steel. On trouve effectivement beaucoup d’accointances entre le travail de ce Dj américain surdoué et celui de PC, Strickly Kev et Dk. Tous aiment baiser avec les beats, détourner les voix de vieilles émissions radio ou de feuilletons et séries Z des années 50, pour effectuer des cut-up saboteurs sur des ambiances jazzy groove, d’où émergent continuellement quelques lignes de basses salvatrices qui raccommodent le tout on ne sait comment. Et même si beaucoup ont été échaudés par certains travaux foireux des Coldcut, force est de constater que le dernier opus Solid steel est à la hauteur de la réputation de l’émission. Ils réussissent à nous placer du Blackalicious qui swingue avec Cut Chemist, en version accélérée (un 2.5 minute workout assez réussi). On a bien sûr le droit au leçon de batteries (Let’s play drums) et au chouchou Herbie Hancock (un Nobu qu’on réécoute en laissant couler un peu de bave sur ces notes de synthés si délicates).
Après plusieurs écoutes, on salive devant le boulot des trois British. C’est assez rare de pouvoir si aisément se laisser infiltrer par un crossover de jazz brakes, de beats braques et de funk up-rock insane, de hip-hop stylisé et de techno bien placée, de drum & bass ébouillantée et de BOF triées sur le volet, de poésie lyrique, de musiques électroniques vieilles ou dépassées, ou d’histoires à dormir debout, contées par des voix curieusement familières. The Broadest beats est un disque sans frontière. Et surtout, il finit sur une beauté funk surhumaine : Riding high de Faze O… Eating food, listening to music, and making love…