« Sokonne » ; « Sokolatine », « l’image, la musique, la tronche, le merchandising, tout est tellement LOL que c’en est presque parfait… » ; « Soko, dont le principal talent consiste à devenir copine avec des gens qui en ont plus qu’elle (du talent), au gré du vent des modes… » ; « Je croyais qu’il y avait une date de péremption sur les it girls? Elle était pas hype il y a 3/4 ans, elle? » ; « MAIS PUTAIN MEUF C’EST PAS PARCE QUE T’AS LES DENTS DU BONHEUR QUE TU PEUX FAIRE DES CLIPS COMME MAC DE MARCO »… : un petit tour ces dernières semaines sur les réseaux sociaux a suffi pour se faire une idée du Soko-bashing à l’œuvre en France, alors que l’album de Soko n’était pas encore sorti. Le syndrome « Image over music », qui frappe autant les marketeux des maisons de disques (effet boomerang) que les commentaires facebook (effet Godwin), n’a laissé que peu de chances à la petite chanteuse française (heureusement échappée à Los Angeles depuis deux ans), qui se voit traînée dans la boue de la mauvaise foi frenchie sur la foi d’un (puis deux) clip, annonçant un album où elle semblait avoir « troqué son ukulélé contre une panoplie de Joan Jett » (comme également lu dans un commentaire).
Et effectivement, après le très lo-fi et intimiste « I thought I was an alien » (2012), son nouvel album « My dreams dictate my reality » la voit passer du folk mélancolique au post-punk le plus incandescent depuis Siouxsie & The Banshees ou Lizzy Mercier Descloux, troquant le la guitare en bois contre la basse saturée, la mélancolie contre la colère, l’introversion contre l’exubérance. On ne regrettera pas le virage (pas si improbable : le punk-rock succède assez logiquement au do-it-yourself), et on préfèrera saluer les artistes qui se remettent en question sur chaque album que ceux qui répètent indéfiniment le même. En faisant abstraction de l’image (look tartan et épingles à nourrice, clips en mode L.A.-VHS-Harmony Korine), des rumeurs sur la personnalité de la chanteuse (barrée, excitée, extrême, et alors ?), et du story telling (elle a brutalement perdu son père à l’âge de cinq ans, puis d’autres membres de sa famille, et en a conçu un mode de vie fondé sur l’urgence et la peur de la mort), et en s’intéressant d’abord à la musique (puisqu’on est là pour ça), on ne voit pas grand-chose à redire sur la qualité de ce nouvel album, frais, intense, mélodieux, électrisant, franchement (oui) réussi.
Produit par Ross Robinson (producteur de The Cure, Korn, Slipknot…), enregistré quasiment live avec des musiciens locaux talentueux (la batteuse de War Paint, Stella Mozgawa, notamment), accueillant le nouveau maître de la pop angeleno Ariel Pink sur deux titres à tiroirs pop (elle faisait déjà des chœurs sur son récent « Pom Pom », si vous ne le saviez pas), l’album de l’ex-future éternelle it-girl Soko contient une majorité de très belles et efficaces chansons pop, sur des arrangements post-punk ou new-wave, avec de l’écho sur les guitares, du chorus sur la basse et beaucoup de reverb’ sur la voix, sous influences Smiths, Siouxsie, Cure, ce qui ne relève pas forcément de l’opportunisme, mais peut aussi être une preuve de bon goût : « Cure est mon groupe préféré depuis toujours . Boys don’t cry était une de mes chansons préférées quand j’avais seize ans. J’aime vraiment les quatre premiers albums, surtout le premier, et j’écoute aussi les répétitions, les live, les démos. ».
Ah oui, on ne vous a pas dit, mais on a interviewé Soko, et oui, elle est excitée comme une puce (qui ne le serait pas quand il sort son deuxième album ?), oui elle a teint ses cheveux en blond (mais on s’en fout un peu, non ?) et oui elle est extrêmement spontanée, sincère, entière (qui lui en ferait reproche ?) : « J’avais envie d’aller mieux, et c’était tellement triste de chanter ces chansons toute seule avec ma guitare, que j’avais envie d’être accompagnée, j’avais envie que tous les sons soient très présents, grands, amples. Que ça sonne comme une grande pièce pleine de monde. J’ai maquetté l’album toute seule, en composant à la basse, une basse Fender Mustang de 1971 que j’adore, avec des drum-machines, et en entendant tous les arrangements que je voulais. J’ai été voir Ross avec une idée précise de l’identité sonore. C’est en nous entendant répéter pour un concert qu’il a décidé de tout réenregistrer en live. Les batteries sont live, les guitares rythmiques sont live, mais j’ai chanté et rejoué mes lignes de basse ensuite. C’était vraiment le luxe de jouer et d’enregistrer chez Ross, qui nous a donné tout le temps qu’il fallait, dans une ambiance calfeutrée, sécurisante, avec beaucoup d’amour. C’était ce dont j’avais besoin pour me sentir vulnérable, pour m’ouvrir vraiment à mes émotions. Avant j’avais l’impression d’être victime de mes émotions, et pour cet album j’ai voulu dicter mes émotions plutôt qu’être dictée par elles, agir plutôt que réagir. En étant dans l’action, je suis moins dans la souffrance, la soumission, et du coup, j’ai repris de la force. ».
De force, d’énergie, d’électricité, les douze titres de « My dreams dictate my reality » n’en manquent pas, empruntant à la noirceur gothique des années 1980 en y insufflant l’entrain et les mélodies d’une pop survitaminée (plus acerola que cocaïne), au service de paroles certes assez autocentrées (elle y parle de son refus de grandir, de ses excès, de ses amours, de ses pertes), mais dont la sincérité touche. C’est de la pop, c’est parfois un peu bubble-gum, c’est agréable à écouter, ça n’est pas très dangereux, mais il n’y a vraiment rien de déshonorant ou de honteux dans ces plaisirs là. Bref, plutôt que de descendre en flammes celle qui met intensément sa vie au service de ses rêves et de ses visions (parce que, comme le dit son producteur Ross Robinson, « Pour Soko, c’est la musique ou la mort. »), écoutez sa musique, elle parle mieux que tous ceux qui veulent parler à sa place.