Suite des rééditions par Cuneiform des enregistrements anciens et introuvables du groupe-phare de la scène rock-jazz britannique : après Spaced, Virtually, Noisette, Backwards et un live de mai 1972 à Paris, c’est un concert d’octobre 1970 au « Concertgebouw » d’Amsterdam que l’on découvre aujourd’hui. A l’époque, le groupe a trouvé son casting de croisière : l’excellent Kevin Ayers a quitté le navire depuis deux ans, remplacé par Hugh Hopper ; la section de cuivres adoptée à l’autonome 1969 (deux saxophonistes, un tromboniste et un cornettiste, tous issus de la scène free jazz) s’est finalement ramenée au seul Elton Dean (disparu le 8 février dernier), ce qui transforme Soft Machine en quartet (Dean, Hugh Hopper, Mike Ratledge et Robert Wyatt). C’est cette équipe qui enregistre deux des plus célèbres albums studio du groupe, Third et Fourth, qui approfondit la recherche d’une voie moyenne entre pop-rock et jazz (de ce point de vue, la comparaison de ce qui se passe des deux côtés de l’Atlantique, chez les disciples de Miles Davis d’une part, chez les animateurs de ce qu’on appellera par la suite le « Canterbury Style » d’autre part, est tout à fait passionnante) et qui se trimballe à travers toute l’Europe en alignant les concerts à un rythme athlétique. L’un des plus notables est celui donné au festival anglais « Proms » en août 1970, puisque c’est le premier groupe de rock à être admis dans le cadre de cette manifestation chic et prestigieuse. Deux mois plus tard, nos héros sont donc aux Pays-Bas pour une tournée que le concert au « Concertgebouw » vient conclure. Dans un contexte purement instrumental, on y entend quelques pièces de Hooper issues de l’album Third, qui venait de sortir à l’époque (Facelift, Out-bloody-rageous), ainsi que d’autres qui allaient par la suite être incluses dans Fourth.
L’influence free d’Elton Dean est tout à fait marquée sur l’ensemble du disque, les quatre musiciens n’hésitant jamais à lâcher la bride à leurs velléités improvisatrices en étirant les morceaux dans de longs développements expérimentaux. D’un point de vue sonore, la qualité est hélas très moyenne, outillage d’époque et conditions du live obligent ; Grides n’en demeure pas moins une pièce intéressante pour qui s’intéresse à la genèse du jazz-rock européen en général et à l’évolution de Soft Machine en particulier, d’autant plus que Cuneiform a eu l’excellente idée d’adjoindre au concert d’Amsterdam le film inédit (assez bref : guère plus d’une quarantaine de minutes) d’un autre concert de la même période, enregistré à Brême par la télévision allemande le 23 mars 1971 (jour riche où le groupe enregistrera d’ailleurs un autre concert, celui déjà publié sous le titre Virtually). L’atmosphère de ce DVD est inimitable : projections psychédéliques et grosses loupiotes rouges sur le mur du fond, matériel d’époque, look seventies à mort (le jeune Robert Wyatt, qui s’empare occasionnellement du micro pour faire résonner sa voix déjà incroyable avec force écho, est splendide avec son tee-shirt cintré et sa casquette), le tout agrémenté de quelques effets de réalisations cheap mais jamais gênants (ah, les filtres roses et jaunes…) Quelques mois plus tard, Wyatt quittera le groupe, remplacé par le batteur Phil Howard puis par John Marshall. Fin d’une époque, début d’une autre.