Cherchant un jour la perle rare dans les stocks d’occasions de l’Armée du Salut, Josh Dolgin dégotte un vinyle d’Aaron Lebedeff, un chanteur yiddish des années 1950. Il le ramène chez lui par curiosité, sans se douter que dès les premiers sillons, sa carrière de jeune bidouilleur hip hop va prendre un grand tournant : « La pochette avait de belles couleurs, le type avait une bonne tête. J’ai ramené ça à la maison, et là, j’ai pris une sacré claque ». Les jazzfans qui l’ont entendu aux côtés de Dave Krakauer sur Bubbemeises, où il figurait sur la pochette comme co-leader, connaissent la suite : devenu Socalled, le jeune Dolgin s’est constitué une discothèque colossale d’enregistrements (quelques milliers de 78 tours de l’entre-deux guerres soigneusement classés et décortiqués) d’une musique juive à laquelle, bien qu’étant juif lui-même, il ne s’était jamais vraiment intéressé durant son adolescence, est devenu l’un des spécialistes nord-américains (lui-même est canadien, et a planté sa tente à Montréal) de la question (il anime des ateliers musicologiques) et, avec culot mais aussi beaucoup de révérence, s’est mis à mélanger ce patrimoine historique avec la musique dans laquelle il a grandi et qu’il a d’abord pratiquée : le hip-hop. Il a même donné un nom au résultat : le « hip-hop yiddish », mixture improbable expérimentée sur plusieurs albums (The Socalled seder et, avec la violoniste Sophie Solomon, Hip-hop kashenese) et continuée sur Ghetto blaster, mic-mac bordélique, hétéroclite et oecuménique dans lequel on saute sans cesse du dancefloor à la fête juive puis aux rythmes de la rue, au point que tout finit par se mélanger. Techniquement, l’affaire a nécessité de grands moyens : plusieurs studios visités et une quarantaine de musiciens invités, parmi lesquels un groupe klezmer (Beyond The Pale), un chanteur yiddish (Theodore Bikel), un rappeur québecois (Sans Pression), des jazzmen de passage (Gonzalez) et un monument historique (Irving Fields, né le 4 août 1915 et fameux auteur, entre autres disques, de Bikinis & bongos ou Bagels & bongos). Le résultat est déconcertant, foutraque et réjouissant, tantôt vraiment surprenant, tantôt simplement amusant, avec quelques sommets et quelques creux (on se serait volontiers passé du Louder remix de Let’s get wet, qui fait achever l’album sur une note décevante). Ceux qui ont connu Socalled par Krakauer savent à quoi s’attendre tant il y a de la similitude entre leurs démarches et leur manière de puiser à la tradition tout en y mettant un coup de fouet (technologique, en l’espèce) ; les jazzfans curieux devraient aussi y trouver leur compte, sinon en sensations fortes, au moins en étonnements, de même que les habitués du rayon electro. Tout ne mérite pas forcément d’être gardé, mais Ghetto blaster mérite le détour.
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