L’année 1991 a vu surgir deux albums incontournables : Nevermind et Spiderland. Le premier a beau être devenu un classique, il a fait un tort considérable à l’utilisation d’après-shampooing et à la Fête de la Musique. Le second est un chef d’œuvre underground, référence du post-rock. Vingt-trois ans plus tard, business is business, Touch & Go sort la « Slintbox » autour de Spiderland à un prix prohibitif (215$, non mais ça va bien ?). Deux 33 tours, deux Cds correspondant aux vinyles (sans le download coupon de rigueur), un livre photo et un DVD, ainsi qu’un T-shirt aux motifs de la première tournée du groupe (en 1989) pour les premiers clients. On déplore l’absence d’un badge, d’un mug et d’autocollants. Aux six titres de cette version remasterisée par Bob Weston viennent s’ajouter quatorze morceaux ou ébauches de morceaux (globalement) inédits : démos, extraits de répétitions, études, riffs isolés et un (douteux) morceau live.
La discographie de Slint tient sur un post-it : un EP sans titre en 1994 et seulement deux albums. Le déroutant Tweez en 1989, aux compositions ambitieuses mais également allégorie du drame de la compression (cancer musical de cette époque), fardé d’effets abjects sur les guitares, précède de deux ans Spiderland. Tout a déjà été dit de Slint, de son influence, des nombreux groupes de premier plan dans lesquels ses membres ont par la suite officié (du sublime et sous-estimé The For Carnation en passant par Tortoise, ou même l’atroce Zwan). Le producteur Steve Albini a naguère adoubé Spiderland en le présentant comme « un album majestueux, sublime et étrange, rendu plus brillant encore par sa simplicité et sa grâce tranquille ». Et on ne contredit pas Steve Albini.
Remasteriser ce disque ne change rien. Spiderland n’a pas pris une ride. Il a déjà vingt-trois ans, âge que ceux qui l’ont écrit et enregistré n’avaient alors pas atteint. C’est une œuvre de jeunesse, une prouesse, un labyrinthe, un des meilleurs disques de tous les temps, de ceux que l’on se flatte de connaître, alors qu’ « eux » , non. « Washer » et « Good Morning, Captain » sont des sommets que l’on sélectionnerait pour élaborer la bande-son de son existence. Des jeunes gens ont voulu apprendre la guitare pour jouer « Breadcrumb Trail ». Des guitaristes trentenaires s’accordent toujours en jouant les premières notes de « Breadcrumb Trail ».
Les quatorze morceaux bonus s’adressent à un public ciblé, absolument et inconditionnellement fan du quatuor de Louisville. L’ensemble a résolument un côté documentaire et décrit la genèse d’un disque. Des démos (« Good Morning, Captain », « Washer », « Nosferatu Man »), du souffle, des répétitions (encore « Washer » et « Nosferatu Man »), du souffle, et l’hideuse reprise live d’un morceau pénible de Neil Young, « Cortez the Killer », déjà connue des chasseurs de bootlegs. Deux titres sortent musicalement du lot. Tout d’abord, un « Glenn » (la face A du maxi de 1994) down tempo, sublime et peut-être supérieur à la version finale. L’ébauche en trois temps d’un nouveau morceau, « Todd’s song » bouleverse par l’opposition d’une guitare mélancolique et d’une basse pleine d’un léger et serein espoir. Achevé, que ce morceau eût été beau. Et quelle merveille aurait été le successeur de Spiderland…
La présence ahurissante d’une piste présentant la démo du riff de guitare de « Nosferatu Man », en duo avec un souffle évoquant la plage d’Ostende au mois de Novembre et vraisemblablement enregistré avec un poste à cassettes laisse penser que rien d’autre ne sera exhumé et qu’il n’y a plus rien à découvrir de Slint. Mais aussi qu’il n’y avait finalement pas grand chose de plus à découvrir chez ce groupe si mystérieux.