Sans surprise, une semaine après sa sortie, la version vinyle de Dude Incredible est déjà sold out. La première écoute (qui est déjà une des dernières) indique qu’il s’agit d’un disque de Shellac classique. Toujours ce son unique et reconnaissable entre tous, le même brio rythmique, la même négation de la mélodie. Dude Incredible n’est que le cinquième disque du trio, si l’on exclut le parfaitement dispensable et objectivement inécoutable The Futurist.

En 1994, At Action Park pose les bases d’un univers musical particulier, marqué par une (omni)présence des rythmiques au détriment des structures classiques, où les mélodies sont malmenées et contraintes comme des bonzaïs. Encore et toujours sur Touch And Go, Terraform (1997) et 1000 Hurts (2000) confirment tout le talent du groupe, avec des morceaux emblématiques et inégalables, comme l’hypnotique « Didn’t We Deserve A Look At You The Way You Really Are » ou le sublime « Shoe Song » (qui fait tellement penser à un Slint devenu adulte). Dès lors, Shellac apparaît à l’occasion sur scène et sort un disque tous les sept ans sur Touch And Go (Excellent Italian Greyhound en 2007 et donc Dude Incredible en 2014).

 

 

Au centre du projet (et à gauche du public sur scène), se dresse Steve Albini, grande icône de la musique indépendante. Il serait impossible d’évoquer tous les disques qu’il a magnifié en tant que producteur. Célèbre pour son travail sur In Utero ou Surfer Rosa, il est aussi l’homme qui a fait le son de Face Of Collapse de Dazzling Killmen, de Tweez (Slint) ou du monumental The Full Mind Is Alone The Clear d’Heliogabale. De Sloy aux Stooges, de Shannon Wright à The Ex, Steve Albini est l’homme de tous les défis, y compris au bon goût (Dionysos, Uncommonmenfrommars). Le principe albinien est de faire la part belle à l’enregistrement analogique et d’exiger des groupes dont il capture la musique une parfaite maîtrise de leurs morceaux. Shellac applique scrupuleusement cette règle devenue un véritable dogme, jouant des morceaux des années avant de les enregistrer. Excellent Italian Greyhound ne proposait donc que trois morceaux réellement inédits pour ceux qui avaient eu l’occasion de voir le trio sur scène les années précédant la sortie de l’album. Le scénario se répète cette année. Il ne s’agit pas de s’appesantir sur le destin tragique des chasseurs de bootlegs (méritent-ils vraiment d’être heureux?) mais de relever que la méthode de travail du groupe, coupée de toute spontanéité, mène inexorablement à un disque comme Dude Incredible.

 

 

Comme Mauriac, le trio est un briseur de caste. Rompre le schéma musical classique en transformant la rythmique en leitmotiv, en jouant avec silences et reprises a fait des chicagoans un groupe novateur. Mais Shellac semble prisonnier de ses propres codes. Ce que les fans appelleront « signature » ou « marque de fabrique » ressemble de plus en plus à une succession de tics. Avec Dude Incredible, Shellac ne surprend pas et se répète, radote presque. En dépit du plaisir d’entendre Todd Trainer brutaliser sa caisse claire, d’écouter avec délice friser la basse de Bob Weston, malgré le son improbable de la guitare d’Albini, une désagréable impression de déjà entendu s’installe et l’on relève même quelques moments hideux et presque gênants (la deuxième partie du morceau d’ouverture, l’intro d’« All The Surveyors »), indignes d’un groupe aussi justement mythifié. A raison d’un disque tous les sept ans, Shellac surprendra peut-être son public en 2021.