Certes, l’œuvre de Rachmaninov, par son essence romantique, est à contre courant. Né en 1873, onze ans après Claude Debussy et seulement un an avant Arnold Schoènberg, sa musique semble venir d’un autre âge. Celui des héros romantiques, de Lord Byron, Franz Liszt, ou Piotr Ilytch Tchaïkovski.
Bien sûr, lorsqu’il meurt à Beverly Hills en 1943, à deux pas de la propriété de Viviane Leigh, après avoir fréquenté le tout Hollywood, la postérité croît voir en lui un virtuose intouchable, au lyrisme slave, le dernier grand pianiste du 19ème siècle, égaré dans le nôtre ; un géant, mais somme toute un musicien peu sérieux, dont les compositions n’auraient eu pour seule fonction que de mettre en valeur ses talents d’interprète. Mais l’histoire, avec bonheur, reviendra sur cette image trop facile. Ainsi Jacques Emmanuel Fousnaeker, jeune musicologue connu pour ses positions avant-gardistes, publiera (aux éditions du Seuil) une biographie iconoclaste brisant, au passage, quelques idées reçues.
L’intégrale de l’ œuvre pour violoncelle et piano qui nous est proposée aujourd’hui prolonge ce travail de relecture. En livrant à nos oreilles des œuvres essentiellement de jeunesse, on découvre un Rachmaninov angoissé, introverti, hanté par la mort. Bien loin de la vie de salon, de Gloria Swanson et d’une Californie légère et insouciante, la Romance et la Mélodie (écrites à dix-sept ans), ainsi que le prélude et la danse orientale (composés deux ans plus tard), démontrent l’aboutissement, déjà, d’un métier au service scrupuleux d’une profonde mélancolie, d’une émotion sans provocation. Œuvre déjà puissante, musique jamais vulgaire. Ces manuscrits, trop éloignés de l’image de Rachmaninov, ne furent édités pour la plupart qu’à titre posthume.
En revanche, la sonate en sol mineur, ouvrage célébré en son temps, est une longue pièce en quatre mouvements, fortement inspirée de celles de Robert Schumann et de Frédéric Chopin. Par son lyrisme inspiré, sa forme, les rôles conjoints des deux partenaires, elle est au centre du répertoire de nombreux violoncellistes de notre temps.
Michael Grebanier et Janet Guggenheim, interprètes qui fréquentent, sur les scènes du monde entier, les meilleurs musiciens de leur génération (Perlman, Yo Yo Ma, Gitlis…), trouvent le ton juste. Leur vision est sereine, à l’image de celle d’un Rachmaninov se consacrant pour l’essentiel, durant ses années d’exil, à l’interprétation.