Senor Coconut est l’une des multiples incarnations du musicien germano-chilien Uwe Schmidt, plus connu sous les divers pseudonymes Atom, Atom Heart ou Atom TM (moins connu sous la centaine d’autres qui a occasionné une discographie pléthorique : Lisa Carbon, Lassigue Bendthaus, LB, Los Samplers, Geez’N’Gosh, j’en passe et des meilleurs et des pires aussi). On l’a un peu vu récemment en France faire la promo de son travail de production pour le groupe pop parisien Holden, mais il est surtout célébré par un public d’aficionados electro pour ses multiples projets et identités (Uwe Schmidt est l’imposteur parfait), son label Rather Interesting, dont la prolixité confine à la folie, et sa manière unique de concevoir la musique : on limiterait volontiers son travail au seul champ de la musique dite « électronique » si lui-même ne refusait pas clairement à chaque interview cette distinction, considérant la musique enregistrée, dans son ensemble, comme « électronique ». En utilisant tel un orfèvre moderne le sampling à fins de re-créations originales (Senor Coconut est le parangon notoire de cette tendance schmidtienne) ou en faisant de chaque album un concept-album, il inscrit dès à présent son (ses) nom(s) dans l’histoire de la pop (cette belle histoire d’expropriations, d’impostures, de masques et de schizes joyeuses).
Après un album latino qui reprenait chaleureusement les meilleurs moments de la discographie du groupe Kraftwerk, Senor Coconut and His Orchestra, faux groupe de faux musiciens (mais qui sonne juste, à la différence des Shaggs, faux groupe de fausses musiciennes qui chantent faux), pousse le bouchon Paris Dernière un peu plus loin avec cette nouvelle compilation de reprises electro-latinos des standards de bon et de mauvais goût de notre culture mainstream. Sous couvert d’une pochette qu’on aurait volontiers affublée d’un logo « TF1 les tubes de l’été », l’orchestre monté de toutes (beats and) pièces à partir d’une collection de disques qu’on imagine borgésienne, et passé à travers la moulinette parfaite d’un sampler et d’un éditeur sophistiqué, revisite des hits aussi standardisés que Smoke on the water (Deep Purple), Smooth operator (Sade) ou Beat it (Michael Jackson), parmi d’autres perles du même acabit grossier et universel. En résulte une série de relectures mambos, cha-cha-chas, merengue, de ces incunables, qui les décalent, les déplacent, les déterritorialisent, vers une nouvelle identité, une nouvelle fonction, une nouvelle géographie (une autre danse, un autre public, une mondialisation réussie ?).
Copiés-collés à partir de chansons latino-américaines typiques, les divers éléments instrumentaux sont montés avec une précision martiale, opérant la rencontre réussie du dionysiaque sud-américain et de l’apollinien germanique. Ces réinterprétations accélèrent ou décalent les tempi (la reprise de Beat it est sur ce point exemplaire, plus dansante que l’original, sur un beat saccadé et étrangement inquiétant), laissant apparaître parfois leur origine computérisée par de petites touches de programmation intempestives (des effets purement electronica sur des percussions latines). Le résultat est beau et festif. Mélange d’expérimental et de populaire, la musique de Senor Coconut pourrait ici s’offrir enfin une large audience (avec sa pochette illusoire et ses désirs consensualistes, n’est-ce pas le but revendiqué de l’entreprise ?). Le disque de l’été, sans aucun doute.