Senking n’en est pas à son premier essai -on lui connaît déjà des oeuvres sur la Static Series du label Raster-Noton, label de Carsten Nicolai entièrement voué à la cause des musiques électroniques ultra-minimales. Ici, malgré l’artwork ludique très Sonig, on reste dans le domaine des ces musiques mutantes et ultra-technologiques où le son électronique est réduit à sa forme première, l’électricité, et on s’étonne de voir Senking débarquer sur Karaoke Kalk, micro-structure allemande qui nous avait plutôt habitués aux exubérances lo-fi de Hausmeister ou Donna Regina.
Senking explore les contours monochromatiques et sévères de matières sonores brutes (du buzz continu aux pulsations sourdes) avec une exigence qui peut décontenancer au premier abord, même si l’utilisation quasi-systématique d’une reverb confère une existence musicale très terre-à-terre à ses sons et à ses compositions, à la limite de l’ambiant. L’allemand créé des espaces imaginaires au milieu desquels les sons s’organisent et deviennent, presque par la force des choses, éminemment musicaux. Tout commence par un vrombissement langoureux et à peine perceptible, d’où émane vite une pulsation binaire trop sourde pour être associée à un rythme. Quelques blips sont lâchés dans l’espace créé, alors qu’au loin semble se profiler une mélodie. On songe là énormément aux essais les plus minimalistes de Labradford, où chaque mouvement est fertile d’une infinité de résonances rythmiques et acoustiques.
Bateau, en second plan, récupère le schéma du premier morceau, mais exploite une atmosphère plus hermétique encore. Cette fois-ci, ce sont les Selected Ambiant Works vol. 2 d’Aphex Twin qui viennent à l’esprit. Rachel, ensuite, malgré son titre évocateur, est quasiment tribal en comparaison, si l’on accepte de voir en ces micro-rythmes primaux l’équivalent des boîtes à rythmes fétiches de la techno. Cups, avec ses mini-accords d’orgue en apesanteur, est lent et bucolique, et rehausse les effets de delay des matériaux abrasifs d’une vraie mélodie. Les blips monolithiques si caractéristiques refont leur apparition sur Run, mais pour soutenir les constructions mélodieuses d’une ambiant music presque ensoleillée. Enfin, Scatt est le grand bond final, la replongée dans les profondeurs. A l’horizon, le fantôme mélodique de Kraftwerk sourit.
Senking arrive avec brio à faire émerger l’humain des ses sonorités revêches, en leur donnant un espace de liberté à mille lieux de toute expérimentation stérile. Finalement, la musique de Senking n’a rien à voir avec celles de ses camarades de jeu (Noto, Frank Bretschneider, Mika Vainio). Elle est beaucoup plus lascive et sensuelle, presque… pop. On comprend bien comment et pourquoi Karaoke Kalk s’est laissé séduire.