Qu’est ce qu’on a de plus à dire sur le nouvel album de Sébastien Tellier, après toutes les couvertures montées, interviews foireuses, photos glacées dans les pages modistes ? Prenons Sexuality sous un angle retors, un peu pervers, prenons-le à l’envers et proposons une interprétation : Sexuality serait l’album de baise du robot Guy Manuel de Homem-Christo, moitié de Daft Punk donc, qui vivrait ainsi sa vie sexuelle par procuration, à travers le corps de Sébastien Tellier, chanteur sensible (Christophe meets Lucio Battisti). La scène est posée : le robot impénétrable, droit sorti du Phantom of the paradise de Brian De Palma, pose sa main protectrice sur l’épaule du songwriter romantique, appuie là sur les nerfs adéquats, qui se prolongent le long du bras jusqu’au bout de ses dix doigts, doigts qui se mettent à pianoter des mélodies naïves, aériennes. Fingers of steel, plage 9 de l’album : les doigts de Sébastien se glissent dans une femme, mais ils sont en métal, excroissances synthétiques de Guy-Man le robot, qui tire les ficelles, dirige le mouvement, chef d’orchestre, marionnettiste d’une poupée hypnotisée (le regard fixe sur la photo), incube d’un corps inanimé. On y verra une perversion au sens freudien et sans faire de morale : Guy Man « détourne de son but » la sexualité de Tellier (et on dira même qu’il le fait cocu, puisqu’il utilise le corps de Tellier pour baiser avec sa muse). De son côté, Tellier signe un contrat masochiste avec le Swan cybernétique, acceptant de devenir sa chose, son corps, sa bite, en échange de quoi ? Du succès avec les femmes, qui voudront bien sûr sauver son âme (cercle vicieux), et en échange de la gloire, du succès populaire (contrat à la Faust). Projections vers un fantasme néo-riche : les chansons portent des noms de magazines porno-chics (Look, Elle) et Tellier se rêve, costume blanc et gourmette en or, au bras d’actrices porno sur un voilier au large des côtes italiennes (Manty), de Californie (le très Dennis Wilson Divine), ou baisant des bourgeoises de Biarritz pendant une séance d’aérobic (Sexual sportswear), retirant mécaniquement les peaux de pêches de leurs corps silicones en sueur.
On a parlé de « musique au mètre » pour les B.O. de films porno (boucles d’instruments midi ad nauseam), Tellier et Guy Man développent le concept et l’esthétique Marc Dorcel 70’s, gonflant l’artifice numérique en érections de beats interminables (Sexual sportswear : des boucles de musique vide accompagnent la cadence du va et vient), frimant sur la durée de leurs performances pour produire de la musique au kilomètre (à propos de Kilometer : « Il faut imaginer ici un Justin Timberlake Berlinois. La sensualité américaine et la froideur mécanique germanique. C’est ma vision de l’amour à l’allemande : l’autoroute qui défile pendant des kilomètres »). Tellier et Guy-Man déroulent donc comme sur une Autobahn, la pompe des robots alignés doggy-style, et on pense aussi au Crash de Ballard-Cronenberg : l’éjac’ sur la carrosserie, le chrome qui rentre sous la peau. Sur Sexuality, pareil, la guitare est un gode, on nique sur le synthé vintage, la souris du Mac fourrée dans la chatte, les instruments sont instrumentalisés, accessoires pour le plaisir : sur Une Heure, les guitares lascives, alanguies, offertes, gémissent littéralement, et leurs gémissements signifie aussi leur humanisation. Car, troisième temps de Sexuality, et obsession des Daft Punk, il s’agit de créer de l’émotion avec des machines : non plus l’émotion naïve de l’enfant qui joue et découvre le monde à travers ses jouets, mais nouvelle émotion mature de l’adulte qui joue avec le corps de l’autre, avec les ramifications nerveuses qui provoquent le plaisir, irradient le cerveau, font mouiller. La R&B américaine et son cortèges d’Images (beauté, jeunesse, richesse), prolongeant le désir sexuel en compulsion d’achat, passe ici en beats ciselés et lascifs, arpeggio en afflux de sang, légers vocoders sur gémissements. Le duo forme alors un chiasme : sexualité désincarnée (la baise des robots) ou animisme érotique (investir d’une âme les objets) ? Le corps balance, puis il oublie, glisse sa main sous le cashmeer, dégrafe le soutien-gorge, descend le long du dos… Mission accomplie.