La réédition de pans entiers du post-punk -à vrai dire, il serait plus judicieux de parler d’after-punk ; le post-punk est devenu un genre, l’after-punk demeure un ensemble de faits et de pratiques- lève aujourd’hui le voile sur ce qui a été une de ses pierres angulaires (et anguleuses). Scritti Politti, c’est pour certains le groupe qui a marqué la décadence du label Rough Trade en lançant, avec Songs to remember, la white soul anglaise ; pour d’autres, ce c’est une entité synthpop mutante enchaînée aux mid-eighties, auteur de quelques tubes (Wood beez (pray like Aretha Franklin), Absolute, The Word girl). Peu savent que Scritti Politti a surtout été un des fers de lance du Do it yourself, et cette compilation, rassemblant leurs premiers singles, vient heureusement le rappeler.
Green Gartside, auteur-compositeur-interprète, était (et demeure, un nouvel album est en préparation) Scritti Politti, sous ses multiples incarnations. La première a surgi en 1977, sous la forme d’un trio composé de Gartside (chant, guitare), Tom Morley (batterie) et Nial Jinks (basse), ex-étudiants d’art vivant dans un squatt de Camden Town. Comme beaucoup d’autres formations, il a suffi d’un concert des Sex Pistols pour décider de leur vocation. A cette différence près qu’une fois leurs instruments acquis et maîtrisés, les trois hommes n’ont pas fait la course au contrat auprès des majors, mais ont créé leur propre label, St Pancras Records. Leur premier single, Skank bloc Bologna, enveloppé dans une feuille photocopiée en noir et rouge (que le livret de ce disque reproduit heureusement), détaillait ironiquement la totalité des frais de sa réalisation.
Et musicalement ? Plus de vingt-cinq ans après, Skank bloc Bologna stupéfie toujours autant. Reggae en pleine déconstruction, tout en étant précis et incisif, cet incipit dessine d’entrée de jeu le territoire du groupe : à la croisée d’une musique progressive défaite par le punk, dont reste néanmoins un goût de la structure hors-chanson, et des musiques « noires », dont l’influence se fera sentir grandissante. Chaque titre est un manifeste en soi : Messthetics, hegemony, Bibbly-o-tek… Mais l’instrumental 28/8/78, envahi par une voix sortie d’un journal télévisé relatant les émeutes du carnaval de Notting Hill cette année-là, est on ne peut mieux imprégné de l’énergie et de l’urgence propres à cette époque. La compilation se clôt ironiquement sur le commencement du second Scritti Politti, The Sweetest girl, comptine soul avec Robert Wyatt aux claviers, en 1981, après une pause de deux années, durant laquelle Gartside redéfinit son concept. L’after-punk connaît alors ses derniers feux.