Scrape est le fruit d’une rencontre… Ou plus exactement d’un duo composé de Marc Sens et de Cyril Bilbeau. Sens palpe sa guitare depuis nombre d’années, aussi bien pour des projets aux côtés de Yann Tiersen, Serge Teyssot-Gay, Headphone ou encore l’illustre Jean-François Pauvros. Amoureux d’un courant bruitiste et d’une free music qui ont encore beaucoup d’embruns à débusquer, ce metteur en son chérit la délivrance et / ou la torture de guitares à cordes métalliques (voire électriques) et autres grésillements volatils générés par des amplificateurs désaxés. Quand à Bilbeau, on l’a découvert sur la scène hexagonale au début des années 90, principalement pour ses frasques rythmiques au sein du groupe Sloy, à qui l’on doit plusieurs disques dont l’indie rock éclairé a frappé nombre de cerveaux (Planet of tubes, Electrolite ou encore un premier album éponyme produit par Steve Albini…). Batteur reconnu pour ses performances scéniques, Bilbeau semble avoir injecté dans son univers des enluminures mélodiques autant héritées de la musique bruitiste que des influences embrigadées lors de son long apprentissage des musiques issues d’un courant noisy-rock qu’il a longtemps abreuvé. Une belle affiche donc.
Présentée ici par le label Shambala Records (a qui l’on doit des albums d’Osaka Bondage, les Shams ou encore une rencontre entre Keinji Hanos et Pauvros, pour ne citer qu’eux…), ce disque s’ouvre brutalement sur des ondées de reliquats métalliques saturés qui se font savater par des breaks fauves. Les rasoirs sont lancés sur la batterie de Bilbeau, le cachet d’aspirine tourne autour de la guitare atrophiée de Sens, comme pour essayer de trouver un mal de tête qui n’en finit plus. Une introduction qui possède un éclat troublant, un cri tordu dans tous les sens du terme. Ce scandale aux auréoles bruitiste laisse place ensuite à des frétillements de breaks enroulés par une ambient légère et douce, hypnotisante puis narquoise (on pense à Biosphère se faisant supplicier par un Wayne Shorter sous weed). Une brise givrée se place ensuite entre les battements de coeur du batteur, transformé ici en véritable dresseur d’un serpent dont les larsens sont le venin : No more room in hell…
Derrière les ondées malsaines de Scrape se cachent deux esthètes de la liberté musicale absolue, qui démarrent souvent calmement pour s’orienter vers une route sombre explosée par un orage de clapotis détraqués. Ce binôme révèle des tonalités fermentées au spleen musical, souvent lunatiques et sous pression. On assiste souvent à une sorte de jam session allant du dub écrasé au voyage astral post-rock, où les légers relents d’electro urbaine se débattent avec quelques courbures bruitiste. Les oreilles délicates ou bouchées auront du mal à rentrer dans ce labyrinthe souvent maladif. Mais pour l’auditeur qui arrive à s’y perdre, Scrape est un voyage alléchant, une free music qui s’épanche comme une phase soufrée de la planète.