Il est maintenant établi que certains rêves peuvent se prolonger une heure et plus. Au cours d’une nuit normale de huit heures, un adulte rêve généralement quatre fois, chaque phase étant plus longue que la précédente. La première est d’environ dix minutes, la dernière, qui survient à l’aube -et la seule, semble-t-il, dont nous puissions nous souvenir-, peut fréquemment durer une heure. Ainsi, le rêve occupe-t-il quelque 20% de notre temps de sommeil. Le sommeil paradoxal est celui où l’on se repose, celui où notre esprit travaille. Sans rêve, le cerveau ne peut pas se reconstruire. Sans rêve, c’est mort. La grande partie des oeuvres de Scout Niblett se compose de songes éveillés. Ses grand écarts entre rock emporté et folk détérioré établissent des diagrammes composites, où les pianos et la batterie sont débusqués par un corps délicat et une voix tonitruante. Riche et foisonnante démarche musicale que celle conduite depuis plus de cinq ans par cette belle mutante.
Etrange phénomène que Scout Niblett, aka Emma Niblett, artiste protéiforme capable de prendre la batterie, la guitare et le micro à tour de bras. En quelques albums plutôt décalés, Niblett a développé un son particulier, quitte à être parfois difficile d’accès. Et ce n’est pas forcément ce nouvel album qui va changer la donne. La sirène Niblett y perpétue ses océans musicaux, rechutant une fois de plus dans la face des Etats-Unis où elle réside depuis plusieurs années. Les soubresauts de son album I Am et ses nombreux concerts donnés récemment sur les continents européen et américain prouvent sans difficulté que Niblett marche à contresens de certains condensés sonores « popérisés » de l’Angleterre des lads et de sa brit-pop déflorée (Colplay, Muse, Travis, pour ne citer qu’eux…). Lorsque miss Niblett se met à la batterie, c’est un Steve Albini beat d’admiration qui la remarque, la guide et s’occupe de ses enregistrements. Car le cosmos de cette Britannique inapprivoisable évoque aussi bien l’énergie post-punk des Breeders que les ballades folk-rock de Cat Power, sans pour autant en faire un clone déformé. Niblett peut faire le Lou Barlow ou le Jason Loewenstein, voire même les deux à la fois. Tout comme Sebadoh, elle réussit à relayer vocalises savoureuses et guitares nappés de cris (cf. le chef-d’oeuvre Wolfie).
Cette jeune Britannique fait partie de la petite famille de la grande histoire du rock. Ses chants solitaires et intimes vont de pair avec ses maniaqueries de garçonne et sa belle perruque blonde qu’elle ne quitte que pour se laver. Emma Niblett est originaire de Nottingham, où elle a passé ses étés d’enfance et la plus grande partie de son adolescence. Evoluant dans le même marais que Van Morrison, Laura Veirs ou Cat Power, elle chante en tremblotant, joue avec les convulsions de ses exaltations. Son folk-rock, amusé à la simple guitare électrique, fredonné en grelottant, se mue lorsqu’elle monte la voix, comme un faciès qui hurle au ralenti. Avec ses alternances voix de corps / voix de tête, elle propulse étrangement ses asthénies attendrissantes, portant sur ses épaules quelques pépites anti-folk, comme en témoigne le distingué Lullaby for Scout in ten years. Cet album déviant, qui ne suit aucune règle en particulier, étend une géométrie variable, épanchée sur de délicieux laps de guitares sèches, des notes de pianos démembrés et des breaks de batterie duvetés (Fuck treasure island). Contrairement à son prédécesseur I am, Kidnapped by Neptune emprunte quelques virages étirés et veloutés (Valvoline, Hot to death…), comme pour passer à l’âge adulte. Mais Niblett sait aussi frapper fort avec ses traumas humains (pas l’ombre d’une boite à rythme ici, ni d’un clavier électronique), s’envole très loin, à l’instar du bijou Porn porns, où ses tonalités se dressent finement sur de petits accords minimalistes de guitares légèrement effeuillées. Sa batterie vient ensuite éclater l’univers enfantin qu’elle avait esquissé, pour ensuite faire boursoufler ses hymnes en folk dépouillé (Drink to me, Where are you ?). Le point culminant de l’album est sans nul doute le morceau Newburyport, qui laisse délicatement monter la tension, puis redescend en hachure pour accueillir -au bout de trois minutes d’instrumental- la batterie divergente et les cordes vocales fracturées de cette demoiselle aux milles parfums. Niblett est une esquisse exquise, à écouter en boucle.