Quand elle commence à nous parler doucement (It’s all for you), on lui donnerait tout, on se laisserait blêmir la peau. Et lorsqu’elle énumère son alphabet véhément, que sa voix s’élève dans la seconde qui suit en nous disant que « c’est pour nous », que ce disque est pour nous, on la suit aussi. Un collègue m’a dit qu’il pensait que Scout Niblett était un peu folle. Si oui, alors j’aime la folie. Surtout lorsqu’elle a la forme d’une femme qui gratte une guitare en pleurant ses mots sur la tête de mes rêves (I am). Elle appelle au secours ? Mes oreilles arrivent à sa rescousse. Cette jeune fille s’est fait connaître par ses opus Sweet heart fever (superbe titre d’album pour superbe album) et Conjure series (une série moins appétissante que la fièvre du doux coeur de cette libellule). Elle a traîné avec Songs:Ohia, a été comparé à Cat Power et PJ Harvey. Ok. Mais elle a un truc qui la rend vraiment différente, atypique. Quand elle pose sa voix sur No one’s wrong, qu’elle s’aventure dans des allées jonchées de fleurons morts, qu’elle sort un parapluie alors qu’il ne pleut pas, qu’elle vole autour des nuages en riant, pour ensuite se jeter dans le vide de cette terre, elle est convaincante… Je dirais même plus, elle est vraie. Guitares nerveuses et accoustiques se mélangent, en gardant de la distance. Comme Niblett et son auditoire. Elle rentre dans votre cerveau mais vous avez du mal à rentrer dans le sien. Elle défonce des milliers de gens avec sa voix d’amour fêlé, celui qu’on trouve dans les films de Cassavetes. Mais la jeune n’a pas encore « l’âge mur » (heureusement), celui de Cassavetes dans Opening night. Elle a plus l’âme de la jeune fille qui pleure en voulant toucher Gena Rowlands. Une jeune fille qui pleure sous la pluie.
Son folk-rock, amusé à la simple guitare électrique, fredonné en grelottant, se mue lorsqu’elle monte la voix, comme un visage qui crie au ralenti. Elle était femme-enfant, elle est devenue une femme d’enfant qui continue de grandir. Elle se mélange avec le monde adulte de ses parents, puis retourne à ses tourments, dirigés vers la simplicité de l’adolescence, sa complexité aussi. Un paradoxe qu’elle fait naître à merveille. Une asthénie tendre, qui se transforme souvent en grande puissance sexuelle. I am est plein de plaisirs cachés et de litanies à double-tranchant, qui raconte des corps. Il raconte une femme aussi, une amante démesurée, dont la vie arrosée d’eau de feu et les tatouages délébiles sont autant attrayants. Un très bel album.