Thomas Hampson (baryton), Wolfgang Sawallisch (piano).
Avec ces vingt-quatre mélodies freudiennes avant l’heure -tout ce cycle est en effet un long monodrame intérieur, voyage dans l’hiver d’une âme isolée et désolée- Schubert nous a livré un chef d’oeuvre d’humanité, de révolte contenue et de désespérance. Cycle douloureux, où l’encore tout jeune compositeur autrichien (30 ans à peine) projette toute la détresse qui l’habite au seuil d’une mort annoncée (la syphilis). S’il fallait, in fine, n’écouter qu’une de ses oeuvres, ce Winterreise-là s’imposerait sans conteste parmi trois ou quatre autres.
La première comparaison qui s’impose lorsqu’il est question de Thomas Hampson, est bien sûr celle avec Dietrich Fischer-Dieskau, l’un des barytons les plus considérables du siècle. Surtout dans ces lieder que le chanteur allemand a marqué à jamais de son art, au récital comme au disque (citons notamment celui gravé en 1965 pour DG, où la poésie dispensée par Fischer n’a d’égale que celle de son accompagnateur Jörg Demus).
La baryton américain n’a, selon nous, rien à envier à son illustre aîné, spécialement dans cet exercice, où l’élève a déjà plus d’une fois dépassé le maître -entendez, par exemple, ses somptueux Mahler, des Kinder dirigés par Bernstein (DG) au cycle plus récent enregistré pour Teldec. Ce nouveau disque vient confirmer, s’il en était besoin, que Hampson n’a guère de concurrents, aujourd’hui, dans le répertoire du lied allemand -on surveillera de près, néanmoins, le jeune Matthias Goerne (cf. ses magnifiques Goethe Lieder, DECCA). Voix ample et puissante, mais pourtant parfaitement maîtrisée, timbre sombre et somptueux, le baryton mêle d’entrée (Gute Nacht) intelligence suprême du texte et sensibilité confondante, et démontre par ailleurs une aisance exceptionnelle dans la narration et un art de la diction consommé. Soutenu par l’accompagnement ad hoc du grand Sawallisch, Hampson nous invite à un Voyage à la fois tendre, tourmenté et déchirant (Die Krähe).
Quand on sait par ailleurs quel immense chanteur d’opéra il est (réentendre son Posa historique dans le Don Carlos du Châtelet, en attendant Onéguine, en mars prochain, à Bastille), et le parcours exemplaire qu’il mène dans tous les registres de son art, on ne peut que redire notre admiration pour lui. Et attendre, avec impatience, ses Heine-Lieder de Schumann, toujours pour EMI, toujours avec Sawallisch.