Soyons honnêtes : le hip-hop américain devait passer par une restructuration, un nouveau souffle. Un événement musical qui prouverait une bonne fois pour toute que le xxie siècle a bel et bien commencé. Les quelques rescapés du Wu-Tang Clan ne pouvaient pas à eux seuls tenir le flambeau du rap US éternellement. C’est dorénavant chose faite avec Saul Williams, slammeur new-yorkais de vingt-huit ans qui signe ici son premier album. Le talent suave et décomplexé qui transpire tout au long de cet album découle de plusieurs facteurs : tout d’abord, Mr Saul Williams maîtrise parfaitement la poésie rappée (on pense évidemment aux Roots) en taillant tous ses mots dans des lingots d’or. Ensuite, Saul Williams n’a pas hésité à appliquer la règle adaptée à la réalisation de toute œuvre d’art, à savoir s’entourer de personnes tout aussi capables que lui, et la liste est impressionnante : Rick Rubin (qui a entre autres travaillé pour Public Enemy et les Red Hot Chili Peppers) signe ici la production de l’album, DJ Krust s’occupe des breakbeats, et Chad Smith (acolyte de Flea dans le groupe poivré susnommé) transforme ses fûts funk-rock en véritables métronome où vient se poser la voix d’Esthero…
Avec tout cela, la sauce ne pouvait que prendre, et c’est d’ailleurs la seule chose qu’un auditeur aigri et blasé pourrait reprocher à Saul Williams en le blâmant d’avoir eu recours à une certaine facilité. Mais on se gardera bien de chercher des poux dans la tête de cet Amethyst Rockstar aux couleurs si éclatantes qu’il pourrait bien être la meilleure surprise de ce début d’année. Difficile pourtant d’inclure ce disque dans quelque classement que ce soit. Bien sûr, en prenant un raccourci peu inventif, il s’agit d’un album de rap. Mais que dire des guitares saturées qui parsèment ici et là ce flot incessant et savamment posé sur ces mélodies parfois soul et trip-hop ? La réponse est simple : les onze titres de cet opus ne peuvent raisonnablement se réduire à une étiquette musicale qui de toute façon ne résumerait pas la diversité renversante d’Amethyst Rockstar, album qui rendrait fou n’importe quel chef de rayon d’un magasin de disques. La nature protéiforme de l’album exclut donc tout estampillage rap. Une fois réglé ce point, on ne peut que vivement conseiller l’écoute de ce disque, tant l’énergie dégagée s’avère positive aux oreilles des plus réticents d’entre nous. Force est de constater que des titres comme Penny for a thought ou Fearless réussissent à mettre tout le monde sur la même longueur d’onde, les textes y sont universels et la musique si galvanisante que n’importe quel fan de slam, de rock, de rap, de soul, de jazz ou même de trip-hop pourrait y trouver son compte. Et c’est précisément là que l’on prend conscience que Saul Williams a non seulement réussi la forme (de la poésie de rue servie par des mélodies et des beats ingénieux), mais aussi le fond de son premier album : c’est intelligent, éclairé et frais. Saul Williams peut s’enorgueillir d’avoir réalisé un disque indispensable dès la première écoute. Une révélation qui fait plaisir en atteignant directement le système nerveux central. A consommer sans aucune modération.