Pour son troisième album, l’ancienne partenaire des Zap Mama, devenue titi parisienne et passée virtuose ès chant a cappella, a choisi de se ressourcer auprès des siens, dans son Cameroun natal. A l’occasion d’un tournage télé l’an dernier et de quelques dates de concerts, elle a traversé la moitié du pays, s’est engouffrée dans la forêt profonde à la rencontre du bikutsi originel. Rythme populaire qui guérit les maux et soulage la douleur, le bikutsi dérive en fait d’un rite séculaire, traditionnellement exécuté par les femmes Béti. Modernisé à coups de guitares électriques et de roulements de batterie, le genre est presque devenu musique de foire pour les bars de la capitale camerounaise. A quelques exceptions près, notamment avec les mythiques Têtes Brûlées, la plupart des formations électrisantes, qui ont récupéré la tradition, l’ont un peu travestie dans sa forme urbaine. Et pas toujours dans le bon sens…
Tout en restant fidèle aux beats acoustiques qui construisent sa réputation depuis les débuts de sa carrière solo (cf. les albums Tribu et Multiculti), Sally Nyolo retraduit des atmosphères inattendues sur cet album. Des airs de village, sur lesquels la musique rime avec la vie. Chants d’oiseau, calebasse transformée en percussion au contact de l’eau, balafon et chœurs enflammés : la pièce maîtresse de ce nouvel opus étant le mvet -instrument à cordes qui a pour rôle de transmettre une mémoire ancestrale, sans cesse menacée de disparition par le temps et ses humeurs. Le mvet, arme secrète du conteur qui, seul, sait pourquoi la nature est si mystérieuse face à l’homme, raconte traditionnellement les épopées du bikutsi. Sur ce disque, le mvet s’invite dans l’univers du blues, salue le « son » cubain, se laisse accompagner à l’accordéon. Sally Nyolo, soutenue par une formation franco-camerounaise réunie pour la circonstance, avec entre autres invités Andjeng Etaba Pantaleon, en profite pour nous parler de nos instants fragiles (« La vie peut être comme l’eau qu’on transporte dans une feuille de macabo roulée légère et fragile / Et si, sur le chemin, la feuille se déchirait, l’eau serait aussitôt à jamais perdue ») ou encore de la douleur d’être une femme (« La difficulté (…) de vivre, et de gagner une indépendance dans un monde où sa place reste encore très souvent limitée au foyer conjugal »). Le propos est sain et respire la générosité d’une artiste absolument consciente des malheurs qui hantent son monde.