Pour beaucoup, le Jon Spencer Blues Explosion est sans doute, en cette fin de siècle digitale, la dernière incarnation pertinente des Rolling Stones (bon, d’accord, avec Royal Trux). C’est-à-dire qu’il est le dernier groupe « à guitares » que nous tous, enfants de U2 et de Jesus & Mary Chain qui avons profité des années 1990 pour passer à autre chose (le hip-hop, le clubbing, le Powerbook interfacé MIDI), sommes encore capables d’écouter. Et d’apprécier. C’est que le power-trio (comme on disait dans Rock & Folk en 1979) de Jon Spencer a exactement ce qui manque aujourd’hui à Jagger et Richards : cette rage moite qui étreint depuis toujours la musique noire pour lui mettre le funk, et ce soupçon de distance ironique, à la Warhol, qui caractérise si bien la décennie écoulée.
C’est dire si on était content d’écouter cet album de Russel Simins, batteur dudit groupe, que sort Grand Royal, le label plus-si-hype des Beastie Boys. Hélas ! Là où on espérait un album agréablement complémentaire des disques du JSBX -c’est-à-dire une collection de chansons où l’auteur se serait laissé aller tranquillement au songwriting lo-fi (fidèle en cela à l’esthétique des débuts de Grand Royal, dont le mini-LP des Noise Addicts reste l’un des disques de référence)-, ou alors, au contraire, une suite d’expérimentations façon George Harrison période Wonderwall, on trouve un produit curieusement formaté, presque aussi ennuyeux qu’une suite de vidéos « alternatives » enregistrées sur MTV il y a huit ans et diffusées aujourd’hui. Les quelques scratches et effets digitaux entendus ici ou là n’y changent pas grand-chose : malgré sa brièveté (49 minutes, une misère par les temps qui courent), le disque se traîne en longueur, alourdi par des guitares mornes et une production paresseusement indie. Parfois, malgré tout, affleure quelque chose, comme cette ballade folk-hop, entre Jay Mascis et dc Basehead, qui occupe le track 10 du CD (Cookies & Cream) ; l’ensemble, cependant, exhale un fort parfum de 1992 qu’on aurait sans doute apprécié à l’époque, mais dont on a plus de mal à se satisfaire aujourd’hui, alors que Beck, AFX et RZA sont passés par là.
Attendons plutôt le prochain disque de Russel Simins, mais avec ses deux acolytes cette fois. Et d’ici là, pour se rappeler que le groupe lui-même savait y faire, lorsqu’il s’agissait d’immerger son blues post-moderne dans l’électronique et le hip-hop, on peut toujours réécouter le fantastique Blues Explosion ! Experimental Remixes, paru en 1995 et récemment réédité, sur lequel ils se donnaient entre autres à U.N.K.L.E. et… à Genius du Wu-Tang Clan (feat. Killah Priest). Pour le meilleur, cette fois.