Les Run DMC ont fait leurs premiers pas dans le Queens en 1982. Dès leur premier enregistrement (It’s like that) sur le label Profile, les trois furibonds (Darryl Mc Daniels aka DMC, Joseph Simmons aka Run, Jason Mizell aka Jam Master Jay) s’emparent des charts underground. Le grand frère de Joseph, le célèbre Russel Simmons -fondateur de Def Jam- les prend alors sous son aile et entraîne la formation sur une route qui sera parsemée de succès commerciaux. Les albums s’enchaînent et les dollars s’amoncellent. Kings of rock, second opus, est distribué dans plus de 35 pays, disque de platine aux States, d’or en Grande-Bretagne, en Australie, au Japon… Run DMC se place d’emblée parmi les plus gros poissons de la communauté hip-hop, aux côtés des Public Enemy et autres Boogie Down Production. Pour beaucoup, ils font brusquement office de véritables légendes du rap et personnifient cette frange brutale de rappeurs qui ont su allier lourdes guitares samplées et beats saccadés, tout en restant fidèles à l’esprit hip-hop. Non content de s’approprier la reconnaissance de leurs pairs, le trio décide de frapper un grand coup en s’alliant aux rockers d’Aerosmith. Walk this way hisse le drapeau noir des trois furieux, qui défoncent les portes des charts mondiaux à coups de flow gueulard.
Le son des Run DMC est lourd mais alambiqué, dur mais sophistiqué, toujours agité. Businessmen stratégiques, ils n’hésitent pas à changer de direction dans les années 90 et s’associent au producteur de renom Pete Rock. A la surprise générale, ces rappeurs amateurs de guitares sortent un single à la production 100 % hip-hop. Epaulés par C.L. Smooth, ils enregistrent Down with tha king, qui se glisse dans les premières places du Top Ten. L’album rassemble la crème du rap de l’époque (Q-Tip, EPMD, Redman) et renoue avec la bonne vieille potion « real hip-hop » des années 90. Après cet énième succès, le tiercé gagnant se sépare officieusement. Jam Master Jay produit Onyx et Suga, tandis que Run enchaîne les featurings sur divers albums. DMC prend lui quelques années sabbatiques. La machine Run DMC est enrouée.
2001. Après un silence radio de plusieurs années, les voilà finalement revenu avec ce Crown royal censé ressouder les rangs du groupe (et surtout, ramener du blé dans les chaumières). L’album aurait pu voir le jour l’an dernier, mais il est resté dans les meubles d’Arista pour cause de polémiques juridiques concernant Fred Durst et Kid Rock (un comble puisque ce sont les deux grosses tares de l’album). L’ouvrage est farci de featurings audacieux, qui prouvent peu ou prou que le trio entend renouer avec ses premières amours : les guitares rock. Il y a tout de même de la place pour le hip-hop puisque de nombreuses pointures (Nas, Method Man, Fat Joe) apportent ici leur flow new-school. Hélas, le résultat est plutôt négatif. Crown royal est littéralement troué par son côté hard-rock poussif, et ses invités de marque (Sugar Ray, Stephan Jenkins des Third Eye Blind…) prennent trop de place, sur des titres qui plus est assez pénibles. On atteint même le ridicule avec Them Girls feat. Fred Durst. Quant à Everlast (on regrette amèrement l’époque de Judgment night), il déçoit une fois de plus sur Take the money and run, qui chancelle entre rock foireux et rap boule de gomme façon What it’s like. Heureusement, lorsqu’il s’agit de hip-hop, le son reprend un peu de jus. Queens day, (featuring Nas et Prodigy des Mobb Deep) et It’s over (featuring Dupree) réchauffent les oreilles avec une formule simple mais précise : une bonne boucle et du flow de qualité. Avec Simmons incorporated, un des meilleurs titres de l’album, on retrouve la rage de Run, dont le phrasé véloce et syncopé éclate tout sur son passage.
Mais le clou rouillé du spectacle, c’est tout de même DMC. Le sieur n’apparaît ici que par le biais de samples de vieux vocaux recyclés, ce qui nuit considérablement à la qualité de l’album. Du foutage de gueule en vérité. Même si la syncope énorme et minimaliste de Run refait brillamment surface de temps à autre, on est vraiment déçu par tant de bâclage. Crown royal ne restera pas gravé dans les mémoires de l’histoire du rap. Disons qu’il risque même de faire sortir nos trois lascars vieillissants par la petite porte. Dommage.