Depuis 1985, année de leur formation, Jennifer Herrema et Neil Hagerty, noyau dur de Royal Trux, n’ont jamais caché leur obsession pour les Rolling Stones et les icônes du rock’n’roll. Déjà, Pussy Galore avait poussé l’obsession irrespectueuse jusqu’à demander officiellement à Mick Jagger de chanter avec eux (demande refusée, évidemment) !
Le bien nommé Veterans of disorder, qui sort juste après l’excellent Accelerator et la compilation de leurs nombreux singles, ne déroge pas à la règle. Du rock comme vous ne l’avez jamais entendu : subtilement déglingué, bizarrement diabolique, perversement groovy. Dix chansons, 40 minutes et c’est parti ! Waterpark démarre sur les chapeaux de roue, Stop est un blues de bastringue (période Exile on Main Street, voyez ?), Exception perd le nord sur des percussions et du bottleneck tordu à souhait, on n’y comprend rien mais ça remue ! Le riff de Second skin est absolument imparable et le rythme galope comme un cheval fou. Witch’s tit distille effectivement une sorcellerie bizarre : comment mixent-ils leurs morceaux, cela reste un mystère, aucun des instruments n’est au même niveau, ce qui donne un résultat assez perturbant pour l’auditeur !
On ne comprend rien au psychédélisme hystérique de Lunch money et à ses flûtes qui évoquent autant Brian Jones au Maroc qu’une forte inspiration d’hélium. Troublant. Yo Se fait penser aux vieux Mercury Rev : refrain obsédant, batterie sale en avant, et même un peu d’électronique (?) : jouissif et joyeux ! Sickazz dog reste le morceau de bravoure psychédélique du disque, très proche de l’avant-garde de San Francisco, LAFMS en tête. Pas moins de cinq ou six passages complètement différents dans le morceau, des plus rythmés aux plus contemplatifs, des plus bruyants aux plus calmes, un collage aussi inspiré que brutal, qui condense en cinq minutes tout le psychédélisme américain des années soixante. Une grande partie du talent de Royal Trux réside d’ailleurs dans cette faculté qu’ils ont à régurgiter tout le rock sans le moindre complexe, le tout sur des paroles terrifiantes d’étrangeté. Juste après ça, Coming out party, particulièrement irrévérencieux et insolent, fait l’effet d’un crachat de pianiste de bar ivre au visage de la clientèle huppée qui ne l’écoute pas (la voix de Jennifer est très adaptée dans ces moments-là). Le violon et le piano sont probablement ironiques, mais rien n’est moins sûr. La ligne de basse est hilarante, la guitare lointaine : un morceau irritant, dans le bon sens du terme.
Enfin, tout ceci s’achève avec le long Blues is the frequency (était-il besoin de le préciser ?), plutôt clair au début mais qui évolue vers une impro rock avec moult soli sans but, comme au bon vieux temps, avec ce petit truc décalé / moderne en plus qui suscite toutes les interrogations et provoque des digestions malaisées. Inutile de dire que c’est génial. Les trainspotters seront ravis de savoir que Dave Pajo (Tortoise, Slint) joue sur le disque. Les autres savent bien que Royal Trux est autant un style de vie qu’un groupe et une musique (le couple a récemment produit les MakeUp, Edith Frost et Palace… Et posé pour Calvin Klein). Un monde dans lequel les très mauvais et les très bons albums se succèdent tranquillement : Veterans of disorder fait partie des très bons.