Le label Castle a eu l’excellente idée de rééditer la B.O. de Get carter, thriller anglais réalisé par Mike Hodges en 1970 et interprété par l’impérial Michael Caine. Cette intégrale répare une injustice. A l’époque, la musique du film, composée par Roy Budd, n’était sortie qu’au Japon et, en Angleterre, seul le thème principal était apparu sur une obscure compilation. A l’écoute du CD, on comprend pourquoi ces vinyles étaient devenus le Graal de nombreux collectionneurs. Avec son groove syncopé de clavecin, d’orgue Fender Rhodes et de tablas, le thème du film est un classique instantané et définitif, un monument baroque digne de figurer au panthéon des génériques à côté des chefs-d’œuvre de Lalo Schifrin.
Ce film culte raconte la vengeance acharnée de Michael Caine (Carter), gangster sans état d’âme, décidé à venger son frère exécuté par le milieu. Agrémentée d’extraits de dialogues, la musique de Roy Budd jongle entre ballades pop, habillées d’orgues et de basses supersoniques, et climats plus angoissants. La violence aveugle du film transparaît sur peu de titres, créant ainsi une tension étrange et distanciée face à cette brutalité irréelle. Pourtant, la B.O. de Get carter ravira les amateurs d’easy-listening et les confortera dans l’idée que les années soixante-dix étaient faciles lorsque l’on roulait au volant d’un coupé Lotus orange, foulard au vent, une main posée sur la cuisse d’un mannequin habillé par Cardin : Love is a four letter word et Livin’ should be this way sonnent comme les hymnes évidents de tout jet-setter accompli. Chelsea forever ! La compilation Sound Spectrum a d’ailleurs récemment réédité quatre titres de l’album.
Les versions instrumentales de Gettin’ nowhere in a hury et Hallucinations, avec leur clavecin intemporel, sont des merveilles de maniérisme pop comparables aux plus belles compositions d’Ennio Morricone. La version chantée d’Hallucinations est l’un des titres les plus surprenants de l’album. Que fait ce chef-d’œuvre de psychédélisme West Coast sur un disque anglais ? Roy Budd aurait-il écouté Spirit pour atteindre ces sommets de béatitude lysergique ? Plus récemment, le piano ombrageux de Gettin’ nowhere in a hurry pourrait avoir inspiré Unkle sur Rabbit in your headlight. DJ Shadow et James Lavelle ont certainement quelques copies originales de Get carter dans leurs mythiques discothèques. Plus modeste, le commun des mortels rangera cette précieuse B.O. entre ses CD de Blow up et Bullit.