Avec une pochette pareille, catégorie Hollywood genre Autant en emporte le vent, l’amateur de jazz va s’enfuir au rayon suivant. D’autant plus que s’il cherche Rose Murphy dans son dictionnaire de jazz, il n’en trouvera pas trace. Parce que Rose est passée là où les jazzmen allaient rarement : dans les clubs huppés ou les hôtels à 5 étoiles. Faites-moi plaisir ! Ecoutez une fois la Chee Chee Girl et vous êtes certain d’emporter le disque parce que personne ne peut résister à cette femme-enfant à la troublante candeur. On pense évidemment à Marylin Monroe au temps de sa splendeur et, côté musical, à Blossom Dearie ou alors à Ella Fitzgerald quand elle chante I can’t give you anything but love. Mais c’est bien chez Fats Waller qu’il faut en rechercher les racines. Comme l’amuseur public numéro un, Rose s’accompagne au piano d’une manière raffinée et avec un sens du swing qui tient de l’élastique (elle marque le tempo en tapant du pied droit sur une planche à laver posée sur le sol) tandis qu’elle chante, d’une voix acidulée, ses mélodies qu’elle parsème de bruits divers comme autant de bulles de champagne. Honeysuckle Rose envoûte tous ceux qui l’écoutent même si on sait bien que sa façon de faire relève d’une comédie savamment mise au point et que tout n’est qu’illusion. Qu’importe après tout puisque Rose a la grâce. Ces 17 morceaux, enregistrés à Hollywood ou à New York, quand Rose avait 35 ans, ont gardé leur inépuisable tendresse mâtinée de cocasserie et de malice. A toutes les séances, le contrebassiste est l’incroyable Quincy Major Holey, qui avait l’habitude, dans la ligné de Slam Stewart (avec qui Rose jouera plus tard dans les années 50), de doubler ses lignes de basse d’une voix grave et profonde. Sans doute séduit par la pétulance de la gamine, il se contente, alors que l’on attendait un duo, de fournir un accompagnement d’une grande vigueur rythmique. Les morceaux, eux, sont évidemment choisis pour leur contenu ambigu : Les filles sont faites pour prendre soin des garçons ; Hey maman, il essaie de m’embrasser ; Gee, je me demande ce que ce trouble peut bien être … ! Allez, laissez Rose envahir votre vie rien qu’un après-midi. Le soleil s’infiltre dans la salle de séjour en contournant les lattes du volet. Marylin fredonne I wanna be loved by you (Poo-Poo-Pee-Doo) en se pomponnant dans la salle de bain. Et la fille qui vous apporte un champagne flûté, c’est Betty Boop (Boop-Oop-A-Doop) !
1) A little bird told me (Harvey O. Brooks) – 2) Baby, baby (Jessie Mae Robinson) – 3) Pennies from Heaven (Arthur Johnson – John Burke) – 4) You were meant for me (Nacio Herb Brown – Arthur Freed) – 5) Girls were made to take care of boys (Ralph Blane) – 6) Busy line (Murray Semos – Frank Stanton) – 7) Is I in love ? I is (J. Russell Robinson – Mercer Cook) – 8) Gee, I wonder what the trouble can be (Jessie Mae Robinson) – 9) Honeysuckle Rose (Thomas Waller – Andy Razaf) – 10) Rosetta (Earl Hines – Henri Woods) – 11) You, wonderful you (Earl Carroll – Harry Revel) – 12) Hey ! Mama, he’s Trying to kiss me (Joe Reichman – Nat Streeter – Kay Coblin) – 13) If you were only mine (Charles Newman – Isham Jones) – 14) Not tonight (Joan Whitney – Alex Jramer) – 15) Is I in love ? I is – 16) Don’t stop (Cy Coben – Irwing Melsher) – 17) Don’t stop.
1 à 10 : Rose Murphy (p, voc), Jack Marshall (g), Major Holley (b) Enregistré aux studios RCA, Hollywood, les 14 et 31 décembre 1948. 11 à 17 : Rose Murphy (p, voc), Jimmie Shirley (g), Major Holley (b) – Enregistré aux studios RCA, New York City, les 14 et 19 juillet 1949.