Surtout ne pas bloquer sur la pochette, penser qu’avec sa physionomie de poupon, l’artiste représenté est un attardé juvénile. Car l’excellence et la maturité des compositions de Ron Sexsmith sont bien réelles. Et son troisième opus, le déjà inusable Whereabouts, une œuvre très mélodique, et ponctuée de plusieurs pièces-maîtresses, chefs-d’œuvre de délicatesse comme a pu en produire Tim Hardin, en témoigne. Pour ces climats intimistes, comme à son habitude, le Canadien n’utilise aucun effet démesuré (on s’en tiendra par moments à l’emploi de banjos, piccolo, d’une trompette ou d’un violon en guise d’accompagnement), centre d’une formation réduite où chacun trouve sa place sans nuire à l’ensemble. C’est l’un de traits marquants de l’entourage du chanteur, jusqu’au tandem de la production, Mitchell Froom/Tchad Blake, l’humilité devant la composition, cette idée de la servir sans tirer la couverture à soi. Un geste qui se renouvelle de bout en bout sur Whereabouts.
Voici comment : au commencement se trouve Still time, ouverture à la guitare, sobriété, fluidité, ça coule (mots et musique), on ne s’aperçoit quasiment de rien et c’est fini. Un régal. On n’a qu’une seule envie, remettre ça en boucle. Mais on patiente car arrive Right about now, autre délicatesse renforcée discrètement par un violon, avant d’attaquer Must have heard it wrong, plus complexe, plus rythmée, sans faille. Puis Riverbed, autre sucrerie (la lecture des textes nous dit bien d’autres choses cependant : rêve de tout raccorder quand il ne reste plus rien) pour cajoler la douce. Et tout à l’avenant. Nos préférences allant à ces pépites d’une extrême sensibilité (sans être pleurnichardes) que sont In a flash, Beautiful view, Every passing day, Seem to recall. On n’a pas cité tous les titres -mais pas loin- de cet album, mais, en définitive, ce n’était pas l’envie qui nous manquait. Car il demeure une certitude : lorsqu’on en aura marre de la plupart des pseudo-artistes-autosatisfaits, et présentés par les labels comme tels, il restera toujours, pour se consoler des outrages de l’excitation perpétuellement entretenue par cette formidable industrie du disque, le bonheur de réécouter les disques de Ron Sexsmith.