On parle souvent du « trio » RST, mais il ne faut pas oublier c’est bien d’un quartet qu’il s’agit : dans la démarche du groupe, le Leica de Guy Le Querrec a toujours fait office de quatrième instrument, visuel celui-là, mais inséparable d’une musique dont les images constituent à la fois l’environnement graphique, le détonateur artistique et l’ombre portée, discrètement mais sûrement. Cette intrication des mélodies imaginées par les trois musiciens et des images d’Afrique captées par le photographe français avait déjà été « scénarisée » à l’occasion de spectacles en public durant lesquels les premiers improvisaient à partir d’un diaporama de clichés du second, projeté sur écran ; elle est cette fois-ci au cœur du processus de composition d’un album issu d’une plongée rétrospective dans les « archives africaines » de Guy Le Querrec. Le premier voyage de ce dernier s’effectue au Maroc, en 1968, à l’occasion d’un reportage pour l’hebdomadaire Jeune Afrique ; trente ans durant, il ne cessera de sillonner le continent pour en saisir les couleurs, les habitants, les traditions, les métiers, les odeurs et les paysages. Les premières années, raconte Pierre Walfisz dans le livret de pochette, sont des années « d’intimidation », presque de domestication : « maladroit et inhibé », peinant à trouver le bon angle d’approche, Le Querrec trouve finalement celui de la musique en suivant Henri Texier au Festival Panafricain d’Alger, en 1969. La musique déclenche l’image, celle-ci le lui rendra bien : c’est Le Querrec qui, vingt ans plus tard, avance l’idée que l’association Romano / Sclavis / Texier pourrait produire des étincelles et qui les emmène avec lui dans une vingtaine de pays africains qu’il connaît désormais bien. Résultat : Carnets de route, en 1995, premier fruit de cette collaboration inédite et alchimie étonnante de « trois roches impossibles à fusionner en labo », selon l’expression de Walfisz : la photographie, la musique et l’Afrique.
Après Suite africaine, African flashback constitue ainsi la troisième étape (on espère qu’il y en aura d’autres) des explorations du quartet. Cette fois-ci, Le Querrec a rassemblé ses gigantesques archives photographiques et en a tiré une première sélection, classée en neuf thèmes et soumise aux musiciens ; ceux-ci en ont choisi une douzaine (quatre chacun) et ont composé les morceaux à partir d’elles. Le Querrec, enfin, a réalisé un ultime choix incluant ces clichés comme autant de têtes de chapitre, choix que l’on retrouve dans le livret qui accompagne l’album (avec un graphisme et un soin apporté à la fabrication qui ne font pas mentir la réputation d’excellence du label). African flashback, donc, s’impose autant comme une série de variations musicales sur une série d’images que comme un hommage commun de l’image et de la musique aux innombrables facettes d’un continent-berceau pour la découverte duquel ce disque pourrait presque faire office de guide touristique de luxe. D’une soirée d’août 1968 sous une tente, en compagnie de danseuses et de notables (Berbère, qui a inspiré Henri Texier pour le splendide et entêtant morceau d’ouverture) à un dimanche paisible le long du fleuve Niger, en 1970 (sur lequel Louis Sclavis a composé Le Long du temps), l’album résonne comme une succession surprenante, parfois inattendue et immanquablement fascinante d’instants d’évocation, parfois joyeux et enjoués, le plus souvent doucement mélancoliques et crépusculaires, toujours organiquement liés aux atmosphères volées à la réalité par l’oeil de Guy Le Querrec. Et s’il est possible de retenir un moment parmi les autres, on filera tout droit au déchirant Viso di donna, composé par Aldo Romano, dans lequel il troque sa batterie pour la guitare. La photographie montre Rajaofara Malalatiana, jeune chanteuse malgache découverte lors d’un concours organisé par RFI. On est en 1986, dans un minibus qui trace la route entre Yamassoukro et Abidjan. Elle a le regard dans le vide et appuie sa tête contre son bras sur le siège arrière du minibus, perpendiculairement au pare-brise, fatiguée mais étrangement paisible. Longtemps après que l’album se soit achevé, on pense toujours à ce qu’elle a dans la tête au moment où Le Querrec a appuyé sur le déclencheur, à sa silhouette ramassée et à la déchirante mélodie qu’a imaginée Romano en la regardant.