Les Rita Mitsouko, c’est la parité parfaite. Un homme, Fred Chichin, 44 ans, compositeur varié, arrangeur très fin et producteur « à la pointe » de ce septième album. Une femme (et quelle femme !), Catherine Ringer, 42 ans, chanteuse à la voix tantôt de velours tantôt de hyène, auteur de textes de plus en plus profonds. Les Rita Mitsouko, c’est encore la dualité : depuis longtemps sur un label indépendant, ça ne les empêche pas de s’offrir corps et âme en exclusivité à TF1 pour un site Web à vertu (très) grand public. Les Rita Mitsouko, c’est aussi une autre forme de dualité : des chansons légères (Don’t forget the night, C’est comme ça, Andy, Tongue dance, Au fond du couloir) alternées avec des textes tragiques relatant les horreurs de la vie comme des tracasseries triviales du train train quotidien (Jalousie, Marcia Baïla -qui traitait du cancer sous ses atours de danse hispanique-, Les Histoires d’A. finissent mal, Nuit d’ivresse, Le Petit train -déjà une histoire de déportation avant le C’était un homme présent sur cet album-, Petite fille princesse -une de leurs plus belles chansons qui évoque une enfant abandonnée-, Chères petites, La Belle vie).
Cool frénésie n’échappe pas à la règle. Quelques tubes imparables, qui, des boîtes de nuit aux plages cet été, devraient remuer des foules, figurent au côté de titres beaucoup plus sombres dans leur thématique comme dans leur forme. Le premier single, Cool frénésie, évoque, à l’instar de C’est comme ça, l’appel du large qui a sans doute effleuré le duo pendant toutes ces années de silence. Ensuite, avec le groovy mid tempo Femme de Moyen Age, présent au générique français du dessin animé Carnival, et les technoïdes Alors c’est quoi (influence du Earthling de Bowie ?) et Les Guerriers (entre le big beat et la drum’n’bass), on entre très vite dans la danse. Danse qui peut se transformer sans solution de continuité en règlement de compte, interrogation, quête d’amour, etc. Toi & moi & elle par exemple, pose clairement les questions (décidément le thème de la jalousie est très présent dans l’œuvre de Catherine Ringer). Dis-moi des mots, le plus terrible et poignant morceau de l’album, le plus beau aussi avec la voix impressionnante de Jean Neplin -avec qui Fred Chichin avait fondé Fassbinder en 1977, son premier groupe de rock- renvoie les autres chanteurs, chez qui le thème de l’incommunicabilité est souvent ressassé, faire leur classe. Accrochez-vous dépressifs notoires pour être aussi véridiques dans vos propos ! C’était un homme est un hommage vraiment touchant, qui reprend, après Le Petit Train et sur des notes de violons d’Europe centrale, le thème de la déportation dont a été victime le père de Catherine Ringer. Enfin, Fatigué d’être fatigué dévoile dans une ambiance brumeuse de trip hop bristolien, un texte dépressif au possible.
Mais il y a aussi les titres inclassables, sauf dans la discographie des Rita ! Des titres qui n’appartiennent qu’à eux (seuls leurs concurrents directs, Les Négresses Vertes, pourraient en faire autant) et qui présentent leur poésie contemporaine sur un thème à mille lieues des sujets habituels. Ici, c’est une ode à la promenade dans un Paris de crottes de chien (Grip-shit rider in Paris), une description de ce qui se trame (techniquement parlant) sur Internet… Un zéro ou une session passionnante, Jam, qui mêle harpe, cordes orientales, longues trames de synthés et la voix de Catherine, d’une pureté totale à laquelle elle nous avait rarement habitués.
Cool frénésie, qui fait suite à un Système D malheureusement surproduit (de bonnes chansons pourtant), a eu une gestation certes infiniment longue mais le résultat en valait la chandelle. On peut avancer, sans trop se tromper, que Cool frénésie est assurément un des albums qui, cette année, devrait recueillir un succès sans doute aussi grand que The No comprendo il y a quatorze ans. Il s’en approche par les thématiques des textes mais aussi par la richesse et la diversité musicale que nous offrent Catherine et Fred. Tour à tour electro, dance, acoustique (la reprise en fin de disque de Alors c’est quoi), symphonique, minimaliste, mais toujours parfaitement et intelligiblement pop, les Rita Mitsouko sonnent leur grand retour. Un peu comme celui que Les Négresses Vertes ont réussi avec Trabendo l’automne dernier.