Le point de vue récemment formulé par Richard Galliano quant au fossé qui sépare les belles musiques (lesquelles, ajoute-t-il en introduction à ce nouvel album, sont toujours sérieuses) des musiques inutiles risque d’être interprété comme la justification théorique de ce penchant à la joliesse et à l’enluminure qu’on lui connaît et qu’on lui reproche tout en lui reconnaissant un indéniable talent. C’est encore cette manie d’enguirlander son jeu de décorations harmoniques ou mélodiques inutiles qui modère notre enthousiasme face à ce disque par ailleurs très réussi, et que lui-même considère comme le plus beau qu’il ait jamais enregistré.
Ces considérations mises à part, le projet ici mené a bien mérité d’abondants compliments : confiant avoir toujours rêvé d’être concertiste, l’accordéoniste français, pour surmonter le problème du répertoire, a tout taillé à sa mesure et à ses goûts, évacuant le chef d’orchestre, réduisant l’effectif des musiciens et choisissant sept pièces issues de sa plume ou de celle d’Astor Piazzolla auquel il reste fidèle en tout. A savoir que, reproduisant sa démarche, il « part de la musique populaire et va vers la musique précise, orchestrée, pensée, écrite ».
Si son Opale concerto en trois mouvements, composé en 1994, n’évite pas les clichés (notamment dans la deuxième partie, dont les deux thèmes sont censés « évoquer des images du vieux Paris, l’Accordéon des rues, le Limonaire »), pas plus que sa Valse à Margaux (où ressort ce qui agace souvent dans cette veine new musette dont il porte l’étendard), il installe ailleurs une tension dramatique puissante et remarquable : Habanerando, pour bandonéon, harpe, piano et orchestre à cordes, est à ce titre une de ses plus grandes réussites. La reprise du Concerto pour bandonéon d’Astor Piazzolla, qui conclut magnifiquement le disque, témoigne à nouveau de l’influence du compositeur argentin sur l’accordéoniste, lequel donne une version allégée et plus intime de son œuvre. Une fois pardonnés les excès appliqués de son écriture, Galliano donne avec Passatori, sinon l’un de ses meilleurs disques, au moins l’un de ses plus personnels.
Bernard Quiriny
1) – 2) – 3) Opale concerto (Richard Galliano) – 4) Oblivion (Astor Piazzolla) – 5) San Peyre (Richard Galliano) – 6) La Valse à Margaux (Richard Galliano) – 7) Mélodicelli (Richard Galliano) – 8) Habanerando (Richard Galliano) – 9) – 10) – 11) Concerto pour bandonéon (Astor Piazzolla)
Richard Galliano (acc, band) + solistes de l’orchestre de Toscane (cordes, piano, percussions)
Enregistré à Florence (Italie) du 6 au 8 octobre 1998